Depuis près de trente ans, Johanna Nizard foule les planches des théâtres pour donner à voir et à entendre les grandes pièces du répertoire, mais surtout les écritures contemporaines, dont elle a fait le cœur battant de son métier. Engagée pour la visibilité des auteurs et des autrices vivants qui irriguent le théâtre actuel, la comédienne prête sa large palette de jeu et sa belle voix grave à plusieurs d’entre eux, tels que Rémi De Vos, Marion Aubert ou encore Laurent Mauvignier. De ce dernier, elle a adapté le premier roman Loin d’eux en court métrage, avant d’être seule en scène pour porter son texte "Une légère blessure", que l’auteur a écrit en entendant sa voix. La comédienne et metteuse en scène est aujourd’hui de nouveau seule sur les planches, cette fois pour porter le texte de Delphine Horvilleur, Il n’y a pas de Ajar, Un monologue contre l’identité, que Johanna Nizard co-met en scène avec Arnaud Aldigé. Habituée des métamorphoses, la comédienne pousse cette faculté très loin avec ce spectacle, dans lequel elle incarne le fils d’Emile Ajar, soit le fils d’une fiction. Le temps d’un grand entretien, elle nous explique comment elle passe d’une apparence à une autre dans cette pièce, mais aussi à l’échelle de son parcours, qu’elle retrace avec générosité.
Porter des écritures nécessaires
"Le choix de dire oui à un projet est totalement lié maintenant à la responsabilité de dire ces mots-là. Il y a quelque chose qui se prend la main entre la nécessité et la responsabilité, parce que c'est un métier absolument magique, mais en même temps, monter sur un plateau est un acte grave, au sens où ce n'est pas rien de dire. On y va pour se transformer ensemble, pour qu'on puisse voir le monde autrement et se dire qu'on va laisser des traces, comme le serpent qui fait la mue. Faire l'amour et faire la mue." Johanna Nizard
Au tournant des années 2000, la découverte de Laurent Mauvignier a été très importante pour la comédienne. Elle a d'abord adapté son premier roman en court-métrage en 2001, avant de porter à la scène son monologue "Une légère blessure", en 2016. Elle nous raconte ce que lui a apporté cette rencontre avec celui qu'elle considère comme "l'un des plus grands auteurs" :
"La découverte de Laurent Mauvignier a été un choc. Il s'est vraiment passé quelque chose dans ma vie. Ce n'est pas la même saveur qu'avec Delphine Horvilleur, parce qu'avec elle c'est assez explosif. Avec Laurent, c'est quelque chose de plus secret et tâtonnant. C'est mon ami depuis 25 ans et son écriture a été un changement, comme une rencontre amoureuse. Quand vous rencontrez une écriture, elle vous déplace et elle vous fait entendre une voix que vous aviez en vous, mais qui n'attendait qu'une chose, c'est qu'on la sorte. Il m'a sorti et il n'y a pas de portes, c'est sans fin." Johanna Nizard
Trouver sa voix
Johanna Nizard a créé le spectacle, Il n’y a pas de Ajar, Un monologue contre l’identité, actuellement à l’affiche du Théâtre de l’Atelier, à Paris, grâce à une résidence de recherche puis une résidence de création aux Plateaux Sauvages. Delphine Horvilleur, qui signe le texte, avait le désir en l’écrivant qu’il soit joué au théâtre, mais pensait toutefois que ce serait un homme qui interprèterait le personnage d’Abraham Ajar, fils imaginaire de l’écrivain Romain Gary et d’Émile Ajar, lui-même double fictif du premier. Au cours de l’entretien, Johanna Nizard nous raconte comment elle a trouvé la voix juste pour ce monologue :
"Le travail à la table avec Arnaud Aldigé et Frédéric Harp pour 'Il n’y a pas de Ajar' a été très important pour ne pas se raconter quelque chose avant de faire advenir une voix. Il y a eu énormément de rêves et de travail autour de la langue pour ce spectacle parce que j'ai l'impression que la langue de Delphine Horvilleur apparaît comme quelque chose de direct, mais elle ne l'est pas. Elle a comme des sous couches invisibles qui vont nous chercher dans des endroits qu'on ne connaît pas. Même moi, encore aujourd'hui, en jouant la pièce, je me demande ce qu'on va chercher les uns et les autres, entre nous. Ce qui est quand même très puissant dans ce que fait Delphine, c'est que même si on n'est pas d'accord, on se retrouve, on se rassemble et quelque chose se passe." Johanna Nizard
"Cindy Sherman a été une grande source d'inspiration. Avec Arnaud Aldigé, on a beaucoup rêvé et travaillé sur cette femme qui est extraordinaire. Il y a quelque chose qui est une matière très importante pour moi : dès que je me reconnais, je m'emmerde. Ce qui est extrêmement jubilatoire, c'est justement de se servir d'un filtre, d'un masque pour pouvoir convoquer les voix." Johanna Nizard
Plus d'informations sur son actualité :
- Il n’y a pas de Ajar, Un monologue contre l’identité, un texte de Delphine Horvilleur, mis en scène par Johanna Nizard et Arnaud Aldigé, interprété par Johanna Nizard. À voir jusqu’au 1ᵉʳ octobre au Théâtre de l’Atelier. Présentation :
L’autrice est conteuse et rabbin, elle manipule l’humour juif avec un raffinement rageur. Delphine Horvilleur, après Réflexions sur la question antisémite et Vivre avec nos morts (éditions Grasset), compose pour le théâtre le monologue éclaté du fils imaginaire de l’écrivain Romain Gary et d’Émile Ajar, lui-même double fictif du premier. Abraham Ajar, rejeton inventé de l’auteur de La Vie devant soi, alias Gary/Ajar, s’exprime depuis sa cave, son "trou juif". Il se fait python ou souris blanche, maître ou esclave, femme ou homme, chrétien, juif ou musulman. Il se découvre à la fois lui-même et mille autres, miroir de théâtre planté face à nos inconscients. Johanna Nizard incarne cet enfant du siècle, être indéfinissable, qui désamorce les tensions identitaires, dans un monde et un temps qui les exacerbent toutes.
Les dates de la tournée 2023/2024 :
- 7 et 8 septembre 2023 : Théâtre de la Manufacture, CDN Nancy Lorraine
- 5 décembre 2023 : l’Azimut, Antony | Châtenay-Malabry
- 9 décembre 2023 : Théâtre des 2 Rives, Charenton
- 13, 14 et 15 décembre 2023 : Théâtre National de Nice, CDN Nice Côte d’Azur
- 17 décembre 2023 : Théâtre de Grasse
- 19 et 20 décembre 2023 : Bonlieu Scène Nationale Annecy
- 10, 11, 12 janvier 2024 : Scènes du Golfe, Vannes
- 16 et 17 janvier 2024 : Scène Nationale du Sud-Aquitain
- 23, 24, 25 et 26 janvier 2024 : Théâtre Sorano, en partenariat avec le Théâtre de la Cité – CDN Toulouse Occitanie
- 1ᵉʳ février 2024 : Théâtre d’Avranches
- 6 et 7 février 2024 : Maison de la Culture de Bourges, Scène Nationale
- 9 et 10 février 2024 : Halles aux grains | Scène Nationale de Blois
- 20, 21 et 22 février 2024 : Comédie de Picardie, Amiens
- 24 et 25 février 2024 : Théâtre Montansier, Versailles
- 27 février 2024 : Le Beffroi, Montrouge
- 2 mars 2024 : Centre culturel La Courée, Collégien
- 9 avril 2024 : Espace Philippe-Auguste, Vernon
- 14 mai 2024 : ECAM, Le Kremlin-Bicêtre
- 16 et 17 mai 2024 : Théâtre de Challon
- 21 mai 2024 : Centre Culturel Berenger de Frédol, Villeneuve-lès-Maguelone
- 23 mai 2024 : Théâtre des Quatre Saisons, Gradignan
- 26 mai 2024 : Les Franciscaines, Deauville
Sons diffusés pendant l'émission :
- Jacques Lassalle, dans le journal de 13 h sur France Inter, en 1998, à l’occasion de sa mise en scène de "Pour un oui ou pour un non" de Nathalie Sarraute au Théâtre de la Colline.
- Le choix musical de l'invitée : “A piece of sky”, de Barbra Streisand. Une composition de Michel Legrand, pour la bande originale du film Yentl (1983) réalisé par Barbra Streisand.
- Archive de Romain Gary, datée de juillet 1969.
- Extrait du documentaire “Cindy Sherman : Nobody's Here But Me” diffusé en avril 1994 sur la BBC.
Le Son du Jour : "Paul's Prayer", des Blind Boys of Alabama
Grand retour après six ans d’absence pour le mythique groupe de gospel américain Blind Boys of Alabama avec un nouvel album, Echoes of the South. Six ans, c’est une broutille dans l’histoire de ce groupe qui a été créé en 1939 à l’Alabama Institute for the Negro Deaf and Blind dans la ville de Tallageda, et dont l’effectif change constamment. Ce qui ne change pas, c’est la qualité de leurs enregistrements, et la foi qui les anime, évidemment. Nous vous proposons donc d'écouter aujourd'hui Paul’s Prayer, des Blind Boys of Alabama, extrait de leur nouvel album, Echoes of the south.
