Dans ce quatrième épisode de la série "A voix nue" consacrée à Yvette Roudy, la femme politique raconte la création du premier Ministère pour les Droits de la femme en 1981 : "Il n'y avait rien." Au point que même l’appellation de son titre "Madame la ministre" avait été refusée au début de sa prise de fonction. "Il fallait agir non seulement sur les fonctionnements, les lois, mais aussi sur les mentalités," dit-elle.
Elle relate les difficultés éprouvées lors de la première campagne d'information sur la contraception sous forme de spots télévisés. Elle a vu alors "des forces hostiles" manœuvrer contre elle, comme l'Église catholique, mais aussi "une certaine gauche en vison, une gauche dorée". Elle savait que le remboursement de l'IVG par la Sécurité Sociale serait compliqué, mais elle dit avoir été "surprise un petit peu par la violence des résistances". Elle en détaille les ressorts. "Dès l'instant où une loi existait et permettait l'accès à l'avortement, cette loi devait être ouverte à tout le monde et non pas réservée seulement à celles qui avaient les moyens financiers de se le permettre, ce qui était le cas. Je considérais que, quand on était vraiment socialiste et à gauche, la moindre des choses, c'était de supprimer les inégalités. C’était une mesure de justice sociale et c'est avec cet argument-là que j'ai réussi à convaincre le Président de la République."
Yvette Roudy revient aussi sur sa loi concernant l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dont son regret est de ne pas "l'avoir faite vivre". "Il n'y avait pas de sanction donc ce rapport, on s'en est vite débarrassé par une formalité, les syndicats ne s'en sont pas emparés", constate-t-elle.
"Le ciel des machos m'est tombé sur la tête", raconte encore l'ancienne ministre au sujet de l'échec de son projet de loi "antisexiste" contre toute violence faite aux femmes et permettant à des associations d'ester en justice au nom des femmes. "Dans une certaine gauche libertaire, sous prétexte de libérer la sexualité, il y a eu des excès pareils de la part du plus fort sur le plus faible, comme toujours. On ne parlait pas de pédophilie à l'époque, tout simplement parce qu'il y avait une extraordinaire indulgence à l’égard de ces pratiques, et naturellement, pour ce qui concernait l'utilisation des corps des femmes, on avait mis cela sous le signe des libertés. Alors là, dès l'instant où vous parlez de liberté, imaginez tous les discours que l'on peut développer..."
Pour clore l'entretien, l'ancienne ministre tire un bilan contrasté de son action au Ministère, vite contrebalancé dès 1983 par celui de Georgina Dufoix, en charge de la famille : "Quand on veut transformer profondément la société, il faut faire les choses difficiles très vite parce qu'on sait très bien que dans une démocratie comme la nôtre, les vieilles idées sont très fortes, très enracinées, donc elles reviennent toujours. Toute transformation ne dure jamais très longtemps et ensuite, on revient à ce que certains disent "la normale". En attendant, on a fait bouger les choses. [...] Les choses ne changent pas durablement, c'est un combat permanent. Il faut être extrêmement vigilant, car les reculs sont toujours possibles. [...] En me donnant les clés de ce Ministère, Mitterrand savait ce qu'il faisait. Le Ministère était transversal, mais ça tenait au fait que j'avais pris l'habitude de me battre. Ce n'est pas un fonctionnaire qu'il faut mettre à une fonction pareille. C'est vraiment un politique battant et c'est ce que je suis toujours."