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Les mots ou les armes pour la paix ? (Episode 17 sur 40)

Antoine Compagnon | Daniel Mesguich
Diffusé le mardi, 24 juillet 2012 (184 min)


Montaigne accumule les exemples – les Turcs, les Goths, les Français sous Charles VIII – montrant que la force d’un État est inversement proportionnelle à sa culture, et qu’un État trop savant est menacé de ruine.


Michel de Montaigne Écrivain et philosophe (1533-1592)



   
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Un été avec

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  • Montaigne est un homme de la Renaissance, un familier d’Érasme, lequel, animé par sa foi humaniste, plaidait, dans la Querela pacis, La Plainte de la paix, pour que les lettres fassent taire les armes et apportent la paix au monde. Rien de tel chez Montaigne, aussi sceptique sur le pouvoir des lettres que sur l’instruction du prince chrétien, ou sur la faculté pour un négociateur de faire la paix grâce à sa force de persuasion.

    Son expérience ne l’encourage pas à penser, suivant le lieu commun, que l’épée cédera à la plume, ou à la toge, Cedant arma togae, comme le disait Cicéron (De officiis , I, 77).

    C’est que Montaigne se méfie des mots et de la rhétorique

    À la fin du chapitre « Du pédantisme » (I, 25/24), il oppose nettement, en Grèce, la cité d’Athènes, où l’on apprécie les beaux discours, et celle de Sparte, où l’on dénonce l’art du discours, et où l’on préfère instruire à l’action plutôt qu’à la parole. Entre Sparte et Athènes, Montaigne prend fermement le parti de Sparte, reprenant à son compte un autre lieu commun sur l’affaiblissement des individus et des sociétés par la culture :

    « […] l’étude des sciences amollit et effémine les courages, plus qu’il ne les fermit et aguerrit. Le plus fort état, qui paraisse pour le présent au monde, est celui des Turcs [malgré Lépante, 1571], peuples également duits [formés] à l’estimation des armes, et mépris des lettres. Je trouve Rome plus vaillante avant qu’elle fût savante. »

    Pas de doute : Montaigne associe la décadence de Rome au développement des arts

    Mais aussi des sciences et des lettres, au raffinement de sa civilisation.

    « Les plus belliqueuses nations en nos jours, sont les plus grossières et ignorantes. Les Scythes, les Parthes, Tamburlan [Tamerlan], nous servent à cette preuve. Quand les Gots ravagèrent la Grèce, ce qui sauva toutes les librairies d’être passées au feu, ce fut un d’entre eux, qui sema cette opinion, qu’il fallait laisser ce meuble entier aux ennemis : propre à les détourner de l’exercice militaire, et amuser à des occupations sédentaires et oisives. Quand notre Roy, Charles huitième, quasi sans tirer l’épée du fourreau, se vit maître du Royaume de Naples, et d’une bonne partie de la Toscane, les seigneurs de sa suite, attribuèrent cette inespérée facilité de conquête, à ce que les Princes et la noblesse d’Italie s’amusaient plus à se rendre ingénieux et savants, que vigoureux et guerriers. » (I, 25/24, 221-2.)

    Montaigne accumule les exemples – les Turcs, les Goths, les Français sous Charles VIII – montrant que la force d’un État est inversement proportionnelle à sa culture, et qu’un État trop savant est menacé de ruine.

    Montaigne n’est pas un humaniste naïf, enthousiaste de la République des lettres ; il reste un homme d’action sensible à l’amoindrissement des nations par les lettres. Il reste en somme plus Romain qu’humaniste, allant parfois jusqu’à faire l’éloge de l’ignorance archaïque :

    « La vieille Rome me semble en avoir bien porté de plus grande valeur, et pour la paix, et pour la guerre, que cette Rome savante, qui se ruina soi-même. » (II, 12, 488 ; 760.)

    Ainsi, nulle complaisance excessive pour les lettres n’est à trouver chez Montaigne, mais le maintien aristocratique de la supériorité des armes, de « la science d’obéir et de commander » (220). L’art de la paix, ce n’est pas la rhétorique, mais la force qui dissuade plus qu’elle ne persuade.

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Un été avec, le feuilleton littéraire de France Inter
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