Les faux on connaît, par exemple une fausse casquette Vuitton. Mais les faux tableaux, par exemple un faux Cranach, autrement dit un tableau faussement attribué à un maître de la Renaissance c’est déjà largement moins commun. Et ce, d’autant plus quand ce tableau appartient à la collection du prince de Liechtenstein. Voici l’une des histoires les plus étonnantes de faux tableaux, étonnante car il s’agit de tableaux largement présumés faux, qui ont pourtant berné les plus grands collectionneurs et les plus grands musées du monde.
Au cœur de cette petite industrie d’artisanat de faux tableaux, se trouve un homme : Giuliano Ruffini. Il est pour l'heure impossible de le qualifier de faussaire, car celui-ci est présumé innocent et qu'il n’a par ailleurs jamais rien attesté lui-même : il s’est en effet toujours retranché derrière des marchands, des experts, des conservateurs et des historiens de l'art qui se sont chargés à sa place, de certifier ses tableaux.
Pour nous raconter cette histoire, nous sommes allés à la rencontre de Vincent Noce, auteur de l’Affaire Ruffini : enquête sur le plus grand mystère du monde de l’art, aux éditions Buchet-Chastel.
La Vénus de Cranach : un tableau sans passé vendu des millions d’euros
L’ « Affaire Ruffini » éclate officiellement le 1er mars 2016 : une Vénus exposée à l’Hôtel de Caumont d’Aix en Provence et attribué au peintre allemand de la renaissance Cranach l’Ancien, est saisie. Si la reproduction picturale présente toutes les caractéristiques d’une œuvre de Cranach, des doutes apparaissent face à l’absence d’historique de l’œuvre :
Ce qui serait assez extraordinaire dans cette histoire, c’est qu’on aurait une personne, qui se prétend essentiellement agriculteur (à la retraite aujourd’hui), qui aurait découvert des dizaines et des dizaines, et des dizaines de tableaux dont aucun n’a de passé et qui pour beaucoup ont été attribués à de très grands maîtres. Vincent Noce, journaliste
Car derrière ce faux Cranach vendu sept millions d’euros au Prince de Liechtenstein, il y aurait un homme, Giuliano Ruffini, riche septuagénaire soupçonné d’avoir vendu des dizaines de faux tableaux aux plus grandes institutions muséales depuis les années 90. Bien qu’une procédure judiciaire ait été engagée en France contre lui, Giuliano Ruffini affirme qu’il n’a que fait expertiser des tableaux hérités d’une ancienne compagne. Mais le journaliste Vincent Noce émet des doutes sur cette version des faits :
Le problème c’est que cette collection qui est attribuée à un certain André Borie, qui était un entrepreneur des travaux publics, personne n’en a jamais entendu parler. Il n’y a aucune photographie, il n’y a aucun élément documentaire, il n’y a aucune facture d’achat ou de vente, aucun bordereau… Aucun élément qui permette de prouver la vérité de cette collection.
Pourquoi le marché de l’art s’est-il fait duper ?
Mais alors comment expliquer l’aveuglement du marché de l’art ? Pourquoi les plus grands experts, conservateurs et collectionneurs n'ont-ils pas réussi à déceler la tromperie ?
Parmi les spécialistes sur lesquels s’est appuyé Giuliano Ruffini pour faire attester ses tableaux, Vincent Noce distingue deux types d’experts. Une première catégorie d’experts, composée d’individus foncièrement malhonnêtes, conscients de la fausseté des tableaux mais prêts à certifier de leur authenticité pour générer du profit. La deuxième catégorie d’experts concerne des conservateurs, des historiens de l’art, persuadés – souvent à tort - de pouvoir attribuer les tableaux en un seul coup d’œil. C’est ce qu’on appelle dans le monde de l'art, le « connoisseurship » :
C’est l’impression que certains grands spécialistes peuvent deviner d’un seul coup d’œil que tel tableau était la main de tel maître ou de tel petit maître ou de tel élève etc. (…). Le problème, c’est qu’aujourd’hui avec le développement de la science, il faut faire appel à d’autres méthodes pour analyser les tableaux, il faut entrer dans l’intimité même de l’objet matériel.
Dans le cas de la Vénus de Cranach, une analyse du panneau a ainsi révélé que le bois utilisé datait du 19ème siècle, preuve irréfutable de l’escroquerie. Mais au-delà de ces erreurs d’attribution, le réel problème, selon Vincent Noce, est le refus des professionnels de l’art de reconnaître leurs erreurs :
Des conservateurs ou des musées comme le Louvre, la National Gallery ou le Metropolitan, ne sont pas prêts à revenir sur leurs propres erreurs, à les expliquer et à transmettre aux générations futures, la connaissance qu’ils peuvent avoir de cette série de falsifications si elle est prouvée.