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Audrey Pulvar : "Ce que veulent les victimes, c'est pas d’être protégées, c’est qu’on ne viole plus"

Carine Bécard
Diffusé le lundi, 15 février 2021 (12 min)


Audrey Pulvar, adjointe à la mairie de Paris, chargée de l'alimentation durable, de l'agriculture et des circuits courts, et candidate à la Présidence de la Région Ile-de-France, est l'invitée de 7h50. Elle raconte ce qu'ont vécu ses cousines, violées dans leur enfance par son père Marc Pulvar.


Audrey Pulvar Audrey Pulvar, adjointe à la Maire de Paris, candidate aux élections régionales en Île de France, tête de liste "Île de France en commun".



   
Provient de l'émission
L'invité de 7h50

Au programme
  • "Évidemment, c’est quelque chose qui est très difficile", explique Audrey Pulvar. "Je suis là en tant que moi, et en tant que fille d’un pédocriminel, d’un monstre au sens actuel du mot. Et quand vous êtes la fille d’un monstre, forcément vous vous demandez si vous êtes un monstre vous-même. C’est un processus presque automatique. Les choses sont un peu moins simples qu’elles n’y paraissent, et je ne suis pas là non plus pour répondre à mes détracteurs, dont je n‘ai pas grand-chose à faire sur ce sujet."

    Elle assure être là "pour parler des victimes". "Si je me suis tue depuis huit jours, c’est parce que je trouvais important qu’elles puissent s’exprimer. Mais ici, à Paris, c’est pas l’affaire Marc Pulvar, c’est pas la parole des victimes qu’on a entendue, c’est mon nom qui a été mis en exergue."

    "Depuis 45 ans je sais qu’il s’est passé des choses, confusément"

    "Les victimes, quand elles ont parlé à leurs parents il y a une vingtaine d’années, et que ces derniers ont parlé à ma mère, qui nous a parlé à mes sœurs et moi, elles ont parlé pour être entendues, écoutées, et crues. Et il y a 20 ans, quand ma mère m’a annoncé ce qu’une de mes cousines avait dit, je l’ai crue. C’était en 2002. Elles avaient 30 ans, et on a globalement le même âge. Je les ai crues parce que je suis toujours du côté des victimes, de celles et ceux qui dénoncent ce type de crimes."

    "Je les ai crues parce que les faits se sont produits il y a 45 ans, et depuis 45 ans je sais qu’il s’est passé des choses, confusément", raconte Audrey Pulvar. "J’étais une enfant mais il se passait des choses dont je sentais qu’elles n’étaient pas normales. Il y avait un climat que je ne comprenais pas. Dans ma mémoire, quand ma cousine avait 7 ans, on s’était disputées et elle m’avait dit “ton père, il met sa main dans ma culotte”. Ça m’avait tétanisée, j’avais 6 ans. Et après, ces souvenirs-là ont été cadenassés dans mon cerveau pendant 25 ans, en revenant par flash, sans que je sache ce que c’était."

    "Ces choses-là prennent du temps, les victimes ont mis 25 ans à parler, et ensuite 20 ans avant de pouvoir dire le nom de mon père à haute voix."

    Elle répond aussi indirectement aux donneurs de leçon sur ce sujet. "Non, il ne m’est pas venu à l’idée de dénoncer mon père. Ce n’était pas à moi de le faire, et je ne savais pas que je savais. Ces choses-là ne se font pas en 24 heures, c’est un peu plus complexe que ça, surtout pour les victimes. Je suis là pour dire à tous ceux qui pensent que l’action de mes cousines serait une manœuvre politique, soit pour m’atteindre moi soit pour abîmer la mémoire de mon père, qu’ils ont tort."

    "Les victimes nous parlent quand elles peuvent parler, quand les conditions sont réunies pour elles pour avoir la force de pouvoir se les dire à soi-même. Le dire à ses parents, puis à un cercle plus large, ça prend du temps. Et quand elles le disent, il faut respecter cette parole, il faut l’entendre, il faut l’écouter, la respecter, et non la dévaloriser en la mettant en doute."

    Pour Audrey Pulvar, "sans doute que le livre de Camille Kouchner, tout ce qui s’est passé ces dernières semaines, a été la petite impulsion supplémentaire". "Mais il faut énormément de conditions pour qu’une victime puisse parler, et c'est à elle de parler, pas aux autres de dire avant elles ce qui s’est passé."

    "Il ne faut pas seulement écouter la parole des victimes, il faut faire en sorte que ça n’arrive plus"

    Quand on évoque le rôle des réseaux sociaux dans la libération de la parole, elle doute qu'ils soient "le bon médium pour raconter tout ça". "Mes cousines ont écrit une lettre, qu’elles ont demandé à un hebdomadaire de publier, ce qu’il a refusé. Dans cette lettre, elles disent les choses de façon extrêmement puissante, extrêmement digne, extrêmement rayonnante, même si ce qu’elles décrivent est terrible. La résilience dont elles font preuve sont non seulement le signe d’un immense courage, et je pense que cette lettre peut aider beaucoup de personnes qui ont été victimes de ces crimes, qui détruisent profondément les êtres, et tous ceux qui sont autour."

    "J’entends beaucoup parler de libération de la parole. Sachez que ça ne libère pas grand-monde, on ne repart pas joyeux et léger", regrette Audrey Pulvar. "En revanche, ça dit des choses, qui sont massives, qui ne sont pas anecdotiques, qui ne sont pas le fait de telle ou telle famille, origine ou classe sociale. Les violences sexuelles en général, et les violences à l’égard des enfants, l’inceste en particulier, sont extrêmement répandues dans l’ensemble de la société. Il ne faut pas seulement écouter la parole des victimes, il faut faire en sorte que ça n’arrive plus. Ce que veulent les victimes, c'est pas d’être protégées, c’est qu’on ne viole plus. Comment chacun et chacune d’entre nous doit se poser la question dont on empêche ce genre de crimes de se produire. Ne faites pas d’elles des victimes permanentes."

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L'invité de 7h50
Photographie
  • Christophe Abramowitz
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  • Radio France
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