D’ordinaire, quand les Palestiniens sont dans la rue, c’est pour exprimer leur colère contre l’occupant israélien. Mais pas cette fois. Le slogan que l’on entend dans les rues de Ramallah, c’est bien
« « Abbas dégage ! »
Les manifestants visent leur propre dirigeant.
Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est la mort, il y a une dizaine de jours, de Nizar Banat. Ce militant des droits de l’homme, âgé de 43 ans, était un libre penseur, prompt à critiquer le président de l’Autorité Palestinienne, sur Facebook en particulier. Le 24 juin dernier, à 3h du matin, plus de 20 policiers palestiniens ont fait irruption à son domicile et l’ont roué de coups et embarqué de force. Il est mort peu après.
Une vague de protestations a suivi. Elle n’est pas retombée depuis. Avant-hier soir encore, des centaines de Palestiniens étaient dans les rues de Ramallah, la capitale de la Cisjordanie, pour réclamer justice.
L**’Autorité Palestinienne répond par la répression** : tirs de gaz lacrymogène, arrestations, intimidations, confiscation de téléphones portables, agressions sexuelles contre les femmes qui manifestent. Et ciblage délibéré des journalistes, à 35 reprises au cours des derniers jours, selon le décompte de l’association Reporters sans frontières. Ce matin, des dizaines de reporters palestiniens en ont appelé à la protection de l’Onu pour les aider à remplir leur mission d’information.
Un pouvoir corrompu et vieillissant
On reproche souvent à la démocratie israélienne son instabilité et ses élections à répétition. Mais au moins en Israël, on vote et on vote librement. Rien de tel dans les territoires palestiniens : plus personne n’a mis un bulletin dans l’urne depuis 15 ans !
Au printemps dernier, le processus électoral semblait pourtant relancé. Avec une série de votes, législatifs, présidentiel, programmés entre mai et juillet. Et l’envie de s’exprimer était bien là : 93% des électeurs s’étaient inscrits, 36 listes s’étaient constituées, avec beaucoup de femmes candidates (un quart du total). Un vrai gage de renouvellement.
Mahmoud Abbas a tout mis par terre. Tout annulé, reporté sine die, en avançant un prétexte : le refus israélien d’autoriser le vote parmi les Palestiniens de Jérusalem Est. En réalité, le chef de l’Autorité Palestinienne redoutait surtout la concurrence électorale de ses adversaires : les listes autour de Marwan Barghouti et de Mohammed Dahlan et bien sûr celle du grand rival, le Hamas islamiste.
Disons-le tout net : Abbas, âgé de 86 ans, n’est plus celui que l’on surnommait Abou Mazen, architecte des accords de paix d’Oslo. Il est devenu l’incarnation d’un pouvoir illégitime, vieillissant corrompu, retranché dans son palais de la Mouqata et en pleine dérive autoritaire. Il n’a pas de ligne politique, comme en témoigne son incapacité à prendre une position claire lors de la poussée de tension avec Israël au printemps dernier. Et il n’a pas davantage préparé sa succession.
Plus les jours passent, plus le décalage s’accroit avec une population palestinienne dont l’âge moyen est de 21 ans.
Un statu quo confortable pour Israël comme pour le Hamas
Et personne ne veut rien y faire. Israël n’a aucune envie de voir émerger un pouvoir palestinien rajeuni et légitime. Abbas, on peut facilement le montrer du doigt et dire « regardez ça ne marche pas ». C’est l’alibi parfait pour poursuivre la politique de colonisation progressive engagée ces dernières années en Cisjordanie, et pour éviter de reprendre de vraies négociations de paix.
Le Hamas, omnipotent sur la bande de Gaza, se satisfait tout autant du statu quo. La situation lui permet de revendiquer le titre de meilleur défenseur de la cause palestinienne, quitte à détourner la colère des habitants de Jérusalem Est pour justifier une nouvelle guerre avec Israël.
Seuls les Occidentaux pourraient éventuellement faire quelque chose. Puisque financièrement ils portent l’Autorité Palestinienne à bout de bras, à coups de millions de dollars et d’euros. Ils pourraient fermer le robinet. Mais ils préfèrent encore le vieux dirigeant corrompu à l’incertitude de l’inconnu.
Et c’est comme ça qu’Abbas reste au pouvoir. En réprimant et en faisant sauter des fusibles : le prochain à sauter, face à la contestation actuelle, pourrait bien être l’actuel premier ministre Mohammed Shtayeh.
Mahmoud Abbas est devenu l’un des principaux obstacles à l’aboutissement de la cause qu’il est censé défendre. La population palestinienne mériterait mieux que ses dirigeants actuels.