Héritière de la pensée de Sojourner Truth, bell hooks s'inscrit dans le mouvement de l'afro féminisme pour révéler, à travers des textes qu'elle veut accessible, les oublis et l'aveuglement du féminisme blanc et bourgeois. bell hooks sans majuscule, elle y tient ! Car l'universitaire ne voulait pas qu'on se souvienne d'elle mais d'abord qu'on lise ses livres… Et bien, c'est exactement ce que nous allons faire aujourd'hui : lire ses textes et écouter ce qu'elle a à nous dire.
bell hooks : écrire pour s'émanciper
“bell hooks a écrit une quarantaine d’ouvrages : essais, recueils de poésie, livres pour enfants… Elle a travaillé en partant de l’idée que théorie et politique sont indissociables. Il n’y a d’ailleurs pas de division entre son travail littéraire et son militantisme. Elle part également de l'expérience vécue, notamment celle de la domination, pour produire une pensée de l’émancipation. Le savoir est émancipateur, bell hooks se place ainsi en pédagogue.” Elsa Dorlin
Comment lire bell hooks en France ?
“Je n’aime pas cette expression d’exceptionnalité française mais je pense qu’elle s’applique bien à la réception des œuvres de bell hooks en France, l’autrice ayant pour objectif d’être lue partout dans le monde et par toutes les classes sociales, elle s'est heurtée à des traducteurs ou des éditeurs français moins intéressés par son travail qu’ailleurs dans le monde. La France n’a donc pu lire bell hooks que relativement tard, et les maisons d’éditions et traducteurs diffusant son œuvre aujourd’hui sont pour la plupart des indépendants qui adoptent une posture politique.” Elsa Dorlin
Une critique du féminisme blanc inspirée de Sojourner Truth
“Une partie du mouvement féministe américain provient de la lutte abolitionniste, les femmes afro-américaines sont donc actrices de l’émancipation féminine dès le XIXème siècle mais sont confrontées aux discours des féministes blanches que bell hooks critique dans ses livres. Les féministes blanches dénoncent le traitement des femmes comme esclaves et refusent ce statut-là, mais en excluant les femmes esclaves de la lutte. C’est à ces discours que Sojourner Truth répond en 1851 dans son discours Ne suis-je pas une femme ? (1851). Elle y revendique son statut d’esclave femme et rend donc la lutte féministe indissociable de la lutte abolitionniste.” Elsa Dorlin
Opposer féminisme blanc et abolitionnisme à travers un jeu électoral
“Quand je parle de féminisme blanc, j’historicise le féminisme américain. Au XIXème siècle, un noeud se forme entre le courant féministe et l’abolitionnisme. Du côté des Démocrates, un parti esclavagiste, on défend le droit de vote des femmes blanches et ce dans le but de renforcer l’exclusion des personnes afro-américaines. À l’inverse, les Républicains demeurent opposés au suffrage féminin mais sont en faveur d’abolir l’esclavage et d’accorder le droit de vote aux hommes anciennement esclaves et aux migrants. Les femmes blanches sont alors impliquées dans une lutte électorale qui les pousse à rejoindre des mouvements racistes et suprémacistes dans le but d’obtenir le droit de vote.” Elsa Dorlin
Le racisme : une blessure psychique qui limite la possibilité d'aimer
“De la même façon qu’elle a déconstruit la notion de prise de pouvoir des femmes, puisque celle-ci reviendrait à dominer autrui, bell hooks travaille autour d’une éthique de l’amour qui reviendrait à créer un projet politique basé sur la sororité. Elle étudie l’expérience de domination vécue par les femmes noires, et constate que ces dernières sont représentées comme des sujets qu’on ne peut pas aimer, car violentes, fortes, castratrices. Ces représentations limitent l’amour que ces femmes peuvent recevoir d’autrui mais aussi d’elles-mêmes. Le racisme devient donc une forme de blessure psychique qui peut créer non seulement une honte mais également une haine de soi. La théorie de l’amour que bell hooks développe concerne donc l’amour que les femmes noires doivent porter à elles-mêmes et aux autres femmes opprimées.” Elsa Dorlin
Sons diffusés :
- Archives de bell hooks dans l’émission Speaking freely, 1999
- Lecture du discours de Sojourner Truth Ne suis-je pas une femme ? (1851) par Laure Giappiconi, diffusée dans l'émission de Charlotte Bienaimé Un podcast à soi, Arte radio
- Chanson de Nina Simone, To be young, gifted and black, 1969
- Archive de bell hooks de 2002 diffusée dans l'émission de Laure Adler l’Heure Bleue, France Inter, 18/10/2021
- Archive de la Grande Traversée de Charlotte Bienaimé : Women’s power, les nouveaux féminismes, Episode 5 : Ne nous libérez pas, on s'en charge, France Culture, 26/08/2016
- Chanson de Bessie Smith, Sinful blues, 1924
Bibliographie :
- Elsa Dorlin, Sexe, genre et sexualités : introduction à la philosophie féministe, aux éditions puf
- Elsa Dorlin a dirigé Black Feminism : anthologie du féminisme africain-américain, 1975-2000, aux éditions L’Harmattan
- Elsa Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, aux éditions Zones
- bell hooks, De la marge au centre, aux éditions Cambourakis
- bell hooks, Ne suis-je pas une femme ? aux éditions Cambourakis
- bell hooks, À propos d’amour, aux éditions Divergences