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Philippe Descola : "Les anthropologues vont chercher l'étonnement"

Chloë Cambreling
Diffusé le dimanche, 27 août 2023 (62 min)


À l'occasion des Rencontres de Blois, Chloë Cambreling s'entretient avec Philippe Descola, dont les recherches en Amazonie en ont fait une des figures de l’anthropologie. Il revient sur les caractéristiques de son travail et sur le regard qu’il porte aux communautés qu’il étudie.


Philippe Descola Anthropologue, professeur émérite au Collège de France, médaille d’or du CNRS 2012, spécialiste du rapport à la nature établi par les sociétés humaines



   
Provient de l'émission
Les Masterclasses

Au programme
  • La rencontre avec l'œuvre de Phillipe Descola a constitué un choc pour de nombreux chercheurs et chercheuses. Dans les années 1970, l'anthropologue choisit un terrain qui détermine la suite de sa carrière : il part en Amazonie équatorienne auprès des Achuar. Ses travaux ont nourri de nombreux ouvrages, notamment Les lances du crépuscule, Par-delà nature et culture ou encore les Formes du visible, publié en 2021 au Seuil.

    Maître de conférences puis directeur d'études à l'EHESS à partir de la fin des années 1980, titulaire de la chaire d'anthropologie de la nature du Collège de France de 2000 à 2019, directeur du laboratoire d'anthropologie sociale, fondé par Claude Lévi-Strauss, de 2001 à 2013, Philippe Descola fait cheminer sa pensée depuis plus de quarante ans. Quelles idées a-t-il apporté au sujet de la représentation que l'on peut avoir de la nature ? Comment sa pensée s'est-elle construite ?

    "Les anthropologues sont des gens de l'entre-deux"

    Philippe Descola revient sur les caractéristiques du métier d'anthropologue. Il souligne à ce propos : “Les anthropologues sont des gens de l’entre-deux : ils ne sont pas tout à fait à l’aise dans le monde où ils sont nés, et ne sont jamais véritablement parties prenantes du monde où ils débarquent. Ce sont des médiateurs qui s’efforcent de traduire les valeurs, les institutions du monde dans lequel ils débarquent dans le langage du monde d’où ils viennent, mais ils se servent aussi en retour de la façon dont ils ont été affectés par une expérience ethnographique pour jeter un regard nouveau sur le monde d'où ils reviennent. Ce va-et-vient est caractéristique de l’anthropologie.". Philippe Descola s'est notamment penché sur les expériences de vie collective : il estime que "ce que des gens font en commun dessinent un horizon pour eux, des normes, des valeurs, des institutions, une manière de concevoir le monde et de produire des outils pour le comprendre".

    Sur le terrain

    Phillipe Descola développe à propos de l'expérience de son terrain et de sa manière de s'imprégner du quotidien des populations étudiées : "Dans bien des cas, ce qu’on appelle observation participante est plutôt participation observante. On est là au jour le jour, on partage la vie des gens quotidiennement. Ce qu’il y a de plus difficile c’est de continuer à distancier, à recopier les notes que l’on a prises, car on a le sentiment que ce n’est plus nécessaire, qu’on fait partie de ce collectif. On partage la vie des gens, on finit par comprendre leur langue, on est comme une éponge : on absorbe tout, tout ce qui est dit, tout ce qu'il se passe*".*

    A propos des Achuar, il souligne : *"*C’est une société de routine, et de temps en temps il y a des explosions, par exemple lors des guerres. Tout d’un coup, tout s’emballe et la vie sociale se réorganise autour de la conflictualité. C’est là qu’intervient l’histoire, ce sont des sociétés froides qui tout d’un coup deviennent chaudes par ces événements qui sont traités de façon assez rituelle. La préparation des conflits, le tissu des rumeurs, des propos malveillants colportés de maison en maison, c’est ça qui fait le sel de la vie sociale.". Quand quitte-t-il son terrain ? "Quand plus grand chose ne m'étonne, et que je prévois ce qu'il va se passer."

    "La nature n'existe pas"

    Parti pour étudier la façon dont un groupe social socialise la nature, Philippe Descola est revenu avec le constat que "pour les Achuar, la nature n'existe pas". Il explique : "La nature n’existe pas pour beaucoup de monde, seulement pour une petite fraction de l’Humanité. Pour les Achuar : la plupart des non-humains (que ce soit des plantes, des animaux, des esprits...) sont des personnes qui ont une subjectivité avec lesquelles on peut communiquer. La socialisation de la nature est un système d’interaction permanente entre humains et non-humains. Ce n’est pas du respect ni de la sacralisation, on les mange, on les chasse mais ça n’empêche pas de communiquer avec eux avant. On les traite comme des personnes et pas comme des objets.". Il conclue à ce propos : "Le monde est un dispositif continu à l’intérieur duquel les êtres et les choses sont intégrés de façon continue, à la manière d’un objet naturel.".

    Pour aller plus loin

    Cette masterclasse a été enregistrée dans le cadre de la 25e édition des Rendez-vous de l'histoire de Blois.

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