Miguel Bonnefoy, auteur né d’une mère diplomate vénézuélienne et d’un père écrivain chilien, écrit avec sa langue de cœur, le français. Il grandit entre le Portugal et le Vénézuéla, tout en poursuivant son cursus scolaire dans des lycées français. Miguel Bonnefoy a déjà publié neuf ouvrages, salués par de nombreux prix et par l’affection de ses lecteurs. Il a, entre autres, publié Le voyage d’Octavio en 2015, puis, en 2022, L’inventeur.
Marie Sorbier le rencontre afin de connaître mieux son processus de création, les coulisses de son écriture, ce qui se joue dans sa tête quand un roman advient. Comment appréhende-t-il la littérature ? Dans cette Masterclasse, nous parcourons le chemin littéraire qu’il a tracé depuis 2009. Ce voyage d’une heure permet de découvrir avec Miguel Bonnefoy des territoires lointains, des histoires de familles, des récits mythologiques, des rêves qui parfois deviennent réalité, mais surtout une langue, la sienne, et une phrase colorée, baroque, et pleine de saveurs.
Est-ce qu’écrire est une vocation ? Est-ce un appel ?
"Cette idée de vocal amène naturellement à penser à l’appel monastique. Et puis, finalement, par porosité, par écho, ça peut aller vers l’art. Naturellement, mon père écrit, et je pense par mimétisme, par imitation, j’ai voulu suivre le chemin de cet homme que j’admire. Lui, a un travail qui est davantage politique et engagé, puisqu’il a mis sa littérature au service d’un combat contre la dictature de Pinochet, (...) tout son travail s’est ramifié autour de cette littérature engagée. Peut-être que moi, à mon tour, j’ai voulu m’éloigner de cet appel, comme j’ai eu une vie différente.
J’ai beaucoup bougé de pays en pays, de frontière en frontière, de capitale en capitale. J’ai eu la vie typique de tout enfant de diplomate. *Ces mouvements, déracinements, voyages perpétuels m’ont créé un besoin d’immobilité, paradoxalement. On dit bien entendu que la littérature est l’ailleurs, mais toutefois, presque dans un système de contradiction, j’ai parfois l’impression que la littérature était l’immobilité même, le sédentarisme. Là où j’allais, dans les différents pays, dans les différentes cultures, la première page de Cent ans de solitude ne change pas. Lorsque je me trouvais ici et là égaré, perdu, dans des codes que je ne comprenais pas, pouvoir revenir à certaines pages, à certains poèmes me calmait, me tranquillisait. (...) J’ai ressenti cette nécessité biologique, je me suis rendu compte que si on m’enlevait l’écriture je serais triste."
Écrire dans une langue étrangère
*"*J’ai eu envie d’écrire en français sans doute d’abord pour des affaires logistiques. Comme j’avais beaucoup bougé pendant mon enfance, mes parents m’ont mis dans les lycées français à l’étranger pour pouvoir avoir une continuité au niveau de l’éducation, et on m’a appris à penser en français, à passer d’une idée abstraite pour la mettre en mot, à passer par les labyrinthes du français. L’espagnol, le portugais, plus tard l’italien ont été pour moi des langues orales, de la récré, de l’amitié. Le français était la langue de l’algèbre, des mathématiques, de l’Histoire, mais aussi d’un pays que je connaissais pas. Il y a plus de gens qui parlent français hors de France qu’en France. C’est le fait de diluer la langue autant, de la distiller, qui lui donne sa richesse la plus profonde et la plus grande. J’ai observé, en étant hors de France et en parlant avec des gens qui parlaient le français, finissaient par mieux parler le français que les français eux-mêmes, comme des convertis de la langue. Lorsqu’un étranger apprend une nouvelle langue, il finit par être plus rigoureux, plus précis, plus exact."
Pour aller plus loin
- Miguel Bonnefoy, L'inventeur, Rivages, 2022
- Miguel Bonnefoy, Le Voyage d'Octavio, Rivages, 2016
- Gabriel García Márquez, Cent ans de solitude, Seuil, 1968
- Elena Garro, Los recuerdos del porvenir ("Les souvenirs de l'avenir"), 2011