Médiathèque Georges Brassens

Dans les décennies après Thomas d'Aquin, deux penseurs du XIVe siècle viennent apporter leur pierre à l’édification d’une pensée économique scolastique. Franciscain, Pierre de Jean Olivi a fait vœu de pauvreté et s’insère dans le climat marchand de Narbonne au XIIIe siècle, il travaille sur la moralité des contrats privés, notamment dans le cadre de la prohibition de l’usure. De son côté, Nicole Oresme conteste la souveraineté du roi sur la monnaie : il refuse les dévaluations et fonde une théorie de la valeur monétaire - stable et indépendante.

Pour aller plus loin

• Pierre Jean Olivi : Traité des contrats - présentation, édition critique, traduction de l'ancien français et commentaires par Sylvain Piron (Les Belles Lettres, 2012)

Pierre de Jean Olivi : réinventer les contrats, inventer valeur et capital

Franscicain, Pierre de Jean Olivi a fait vœu de pauvreté et s’insère dans le climat marchand de Narbonne au XIIIe siècle : le commerce s’y développe et sa théorie économique vient répondre à cette économie florissante, sommée de répondre aux injonctions de la théologie catholique de l’époque. Olivi travaille donc sur la moralité des contrats privés, notamment dans le cadre de la prohibition de l’usure, une logique à l’œuvre depuis la tradition juive. Sylvain Piron nous explique : "le Traité des contrats d’Olivi est un cours donné dans le couvent à Narbonne en mai-juin 1293. Il donne ce cours, car on lui pose des questions sur le sujet des marchands. En effet, les frères Franciscains sont les confesseurs des marchands et ils doivent savoir si c’est injuste, ce qui doit être restitué quand on dépasse le juste prix dans le cadre d’un contrat."

Un autre apport majeur sur le plan théorique d’Olivi est sa pensée sur la valeur. Sylvain Piron poursuit : "Olivi définit bien les déterminants fondamentaux de la valeur, à savoir l'utilité, la rareté, les préférences individuelles. Dans son traité, Olivi reprend à peu près les questions de Thomas d'Aquin dans la Somme théologique*, sur la question du juste prix et de l'usure. Cependant, il ajoute, là où Thomas d'Aquin énonce qu'il n'est pas licite de vendre un bien plus cher que ce qu'il ne vaut, que cette réflexion sur la définition de la valeur, c'est la première réflexion abstraite sur la valeu**r*."

Nicole Oresme : pionnier de la politique monétaire

Nicole Oresme (1323-1382) va travailler sur une tout autre perspective : s’appuyant sur Aristote, il tâche de répondre aux problématiques politiques du XIVe siècle, marqué par la guerre de Cent Ans. Alors que l’impôt n’est toujours pas levé de façon régulière, les rois jouent avec la monnaie pour financer l’effort de guerre, à la perte des populations. Sylvain Piron précise : "Oresme est un Normand, il a été étudiant à Paris dans les années 1340/50, et il occupe une place centrale dans l'histoire de la pensée mathématique et physique. Il est reconnu comme le plus grand mathématicien du XIVe siècle. Il s'est également rendu célèbre en rédigeant de nouvelles traductions d'Aristote".

Par ailleurs, sa vie est marquée par la guerre de Cent Ans, la Normandie étant alors souvent occupée par l’Angleterre. Cette guerre aura de fortes répercussions sur l'économie du royaume de France. Sylvain Piron ajoute : "Il s'agit d'un conflit de succession. Le roi d'Angleterre a épousé une descendante directe de Philippe Le Bon, dont les trois fils, les rois Maudits, sont morts, sans descendance directe. Et c'est un cousin, Philippe de Valois, qui a pris la couronne de France. Il y a donc une contestation de légitimité qui déclenche cette guerre. Oresme est à Paris au début de la guerre et il fait partie de ce mouvement d'intellectuels qui participent aux États du royaume et qui essayent de contrôler la façon dont le roi de France gère ses finances. En effet, il n'y a pas de fiscalité régulière à l'échelle du royaume et, pour financer la guerre, les rois ont recours aux mutations monétaires. Ces mutations sont l'équivalent de la planche à billets d'aujourd'hui. Cela se traduit par le fait d'émettre des pièces qui ont de moins en moins de métal précieux… Au Moyen Âge, les pièces de monnaie n'ont pas de valeur inscrite, il y a des unités de compte abstraites et les pièces peuvent avoir des valeurs variables. Le roi fait donc un profit en mettant en circulation ces pièces, ce qui provoque de l'inflation et crée de l'incertitude."

Références sonores

• Extraits du film Le nom de la rose, réalisé par Jean-Jacques Annaud 1986
• Lecture, Traité des contrats, de Pierre Jean Olivi partie I
• Lecture, Crime et châtiment, de Fiodor Dostoïevski
• Discours du Pape François à des Franciscains, 26 mai 2015, Vatican TV

Références musicales

• Le moyen-âgeux, par Georges Brassens
• No reason, par Sunny War