Il ne sera pas question ici des idées reçues que dénonçait Flaubert dans son dictionnaire mais des expressions convenues par lesquelles les écrivains les énoncent. Un exemple : il est plus que fréquent dans la littérature d’adjoindre l’adverbe « désespérément » au nom « vide » comme pour lui donner une profondeur métaphysique même lorsqu’il s’agit d’affaires quotidiennes : « les placards de la cuisine restent désespérément vides ». Et on peut multiplier les exemples : la tension est palpable et les mystères sont insondables. On peut alors se demander à quel prix l’écrivain cherche à rendre l’ordinaire poétique... À moins que le cliché littéraire serve précisément à éloigner notre vie de tous les jours du monde des livres… Pour décortiquer ces tics d’écriture Marie Sorbier est allée interroger Hervé Laroche.
Un univers marqué par la persistance
Les clichés littéraires ont la vie longue. Ces expressions figées ont même, selon Hervé Laroche, une certaine viscosité. En rédigeant la deuxième version augmentée de ce dictionnaire, l'auteur a été frappé de l'utilisation fréquente de la notion de vague.
"Globalement, on a une grande continuité malgré la disparition de certains objets. Par exemple, les claviers crépitent alors qu'aujourd'hui nos claviers sont très silencieux. On se meut aussi comme un automate alors que des automates n'existent plus et que nos robots se meuvent particulièrement bien aujourd'hui." Hervé Laroche
L'utilisation de ces clichés par les auteurs, même s'ils le font de manière inconsciente, répond à une certaine attente du lecteur. C'est pourquoi le cliché fait partie intégrante de ce pacte entre le lecteur et l'auteur. Le livre doit se démarquer d'un mode d'emploi ou d'un style journalistique que l'on retrouve dans la presse ou à la télévision, c'est pourquoi les clichés littéraires essaiment dans chaque roman et signalent d'emblée au lecteur qu'il entre dans un monde totalement neuf. Cette langue, à la différence de la langue ordinaire, donne accès à un univers original, et à une certaine préciosité..
Les clichés, pas si chics ?
Si les clichés littéraires sont, par essence, nullement créatifs - puisqu'ils reproduisent toujours les mêmes agencements de mots tels que "gravir ou dévaler des marches" - lorsqu'on les remarque une fois, il semble être contenu dans chaque ouvrage, même dans des chefs d'œuvres. Si certains auteurs les utilisent sans problème, d'autres essaient de les débusquer afin de les évacuer, comme la prix Nobel de littérature Annie Ernaux.
"Quand elle a reçu le prix Nobel, je me suis précipité sur ses livres. Si l'utilisation du terme "vague" est assez prisée dans son œuvre, son écriture est faite justement pour écarter tous les clichés." Hervé Laroche
Cependant, Hervé Laroche souligne qu'une utilisation à bon escient de ces clichés peut se révéler pertinente. Effectivement, si ces "lieux communs", sont appréhendés dans un sens non péjoratif du terme, ils peuvent être de véritables lieux de rencontre et des vecteurs idéaux pour faire passer des sentiments.
"Évidemment, les lecteurs sophistiqués vont au contraire rechercher la réalité toute crue. Mais globalement, on est comme au cinéma, le lecteur veut entrer dans un monde particulier." Hervé Laroche