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Élire un évêque aux temps mérovingiens

Emmanuel Laurentin
Diffusé le vendredi, 17 février 2017 (4 min)


Une nouvelle histoire de vote, ce matin avec l'historien Bruno Dumezil


Bruno Dumézil Professeur d’histoire médiévale à Sorbonne Université et à l’École polytechnique



   
Provient de l'émission
Petit précis d'histoire à l'usage des candidats à l'élection présidentielle

Au programme
  • Les Mérovingiens n’ont pas une réputation d’être de grands démocrates ; vous volez un vase, vous demandez une part équitable du butin, et vous finissez avec une hache plantée dans la tête. Et ne parlons pas des successions royales : pour avoir une chance d’accéder au trône, il faut porter des cheveux très longs et présenter une généalogie remontant jusqu’à Clovis. Bien sûr, le couronnement se fait à l’issue d’une assemblée qui réunit les Grands du royaume. Mais cette élection formelle ne se produit que lorsqu’il n’y a plus qu’un seul candidat, c’est-à-dire lorsque tous les autres ont été envoyés soit au monastère, soit au cimetière.

    Entre le Ve et le VIIIe siècle, le monde mérovingien a pourtant connu de vraies campagnes électorales. Pas pour le poste de roi, mais pour celui d’évêque. À la mort de chaque prélat, la ville devait en effet voter pour déterminer qui serait le prochain homme à diriger l’Église locale. L’usage remontait à l’Antiquité et le concile réuni à Nicée en 325 en avait précisé les modalités : tout évêque devait être élu clero et populo. Littéralement, l’expression signifiait « par le clergé et par le peuple ». En pratique, l’élection ne rassemblait que les gens jugés sérieux : du côté du clergé, les prêtres, les diacres et quelques abbés respectables ; du côté des laïcs, les hommes les plus riches, les plus puissants ou les plus influents de la communauté. Même si ce corps électoral était réduit, il représentait les principales factions en présence dans la ville. On pourrait presque parler de grands électeurs.

    Par malheur, les évêques mérovingiens avaient une santé de fer. Saint Remi occupa le siège de Reims pendant plus de soixante ans et les épiscopats de plusieurs décennies n’étaient pas rares. Dans ces conditions, chacun guettait les prélats malades ou moribonds pour ne pas rater le bon moment. Une fois l’élection annoncée, les candidats entraient en lice et présentaient leurs bilans. Dans le désordre : avoir dirigé un grand monastère, avoir été persécuté pour sa foi, être le fils d’un précédent évêque. Oui, chez les Francs, on pouvait être évêque de père en fils, à condition bien sûr de réussir à être élu. Si personne ne parvenait à convaincre, d’autres arguments intervenaient. Les candidats les plus riches achetaient des votes. Les autres en étaient réduits à faire des miracles ou à avoir des visions. Dans l’ensemble, le débat électoral restait courtois, mais il pouvait aussi déraper. À Autun, dans les années 650, les deux principaux candidats s’entretuèrent pour obtenir la mitre.

    Les souverains mérovingiens avaient compris que les élections épiscopales constituaient un facteur de désordre. Par conséquent, dès qu’un poste était disputé, le roi des Francs se réservait le droit d’imposer son propre candidat. Même à l’époque où il était encore païen, Clovis nommait déjà des évêques. C’était là l’occasion de procéder à des parachutages de personnalités extérieures ou au recasage de hauts fonctionnaires. C’est ainsi que le bon saint Éloi devint évêque de Noyon après avoir été ministre des finances de Dagobert. Parfois, le Palais n’avait personne à placer ; comme le Trésor royal était souvent vide, le poste allait au candidat le plus offrant.

    En règle générale, les évêques nommés par le Palais étaient des gens capables : pas des mystiques sans doute, mais d’excellents gestionnaires du temporel et du spirituel. Mais bon, ce n’étaient pas des personnalités locales. Par conséquent, lorsqu’un poste se libérait, les villes prirent l’habitude d’organiser des sortes de primaires : le collège électoral s’accordait par avance sur un candidat unique que le Palais était bien obligé de désigner. C’était un peu hypocrite, mais cela marchait.

    Exceptionnellement, le hasard voulait que ce ne soit ni le candidat du roi, ni le régional de l’étape qui l’emporte. Par exemple, au milieu des années 660, en Auvergne, l’évêché de Clermont devint vacant. Un prêtre de moyenne extraction se porta candidat. Il s’appelait Praejectus. On lui demanda alors (je cite) « s’il savait combien d’or et d’argent il fallait avoir pour pouvoir obtenir cette fonction ». Faute de pouvoir lever les fonds, Praejectus fut débouté et on lui préféra l’archidiacre de la ville, Garivald. Mais Garivald mourut quarante jours après son élection. Praejectus proposa à nouveau sa candidature. Cette fois, le Palais ordonna d’élire le comte de Clermont, Genesius. Mais Genesius refusa la promotion. Faute de nouveaux candidats, Praejectus obtint donc le siège qu’il convoitait après une désignation clero et populo accomplie dans les règles. On aurait pu croire que cet évêque de petite naissance et canoniquement élu donnerait toute satisfaction. Ce fut le contraire : pour essayer de prouver ses compétences, Praejectus de Clermont se mêla de haute politique. Ce faisant, il contribua à faire assassiner un de ses collègues évêques… Au niveau local, Praejectus suscita également l’inimitié de toutes les puissantes familles d’Auvergne. Ainsi donc, un beau jour de 676, Praejectus, l’évêque qui avait été élu clero et populo, finit assassiné clero et populo, par son propre clergé et par ses propres ouailles.

    En somme, les Mérovingiens n’avaient rien contre les élections. Il fallait simplement que le résultat du vote corresponde aux attentes tacites des élites. Sinon, tout était à refaire et on revenait à des modes plus ordinaires de désignation.

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Petit précis d'histoire à l'usage des candidats à l'élection présidentielle
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