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American dream. L'un des plus vieux mythes fondateurs américains a-t-il failli ? (Episode 1 sur 4)

Brice Couturier
Diffusé le lundi, 16 novembre 2020 (5 min)


Comme le cinéma américain ne cesse de nous le répéter, "l'American dream" a du plomb dans l’aile. Que les individus les plus méritants, repérés sur la base des diplômes acquis, soient récompensés par l'accès aux meilleures positions dans la société paraissait jusqu'ici légitime. Plus maintenant.


   
Provient de l'émission
Le Tour du monde des idées

Au programme
  • Ascension sociale, prime au travail et à l'esprit d'initiative, affranchissement : on sait par coeur les clichés qui entourent le mythe du rêve américain. Mais au fait, d’où vient cette expression ? Et que signifie au juste l’expression The American Dream forgée par l'historien James Truslow Adams ?

    Le rêve américain, c’est le rêve d’un pays dans lequel la vie serait meilleure et plus riche et plus pleine pour chacun. James Truslow Adams, Epic of America, 1931

    Le rêve américain, ajoutait-il, ce ce n’est pas seulement un rêve de prospérité matérielle, mais celui, pour tout homme et toute femme, de réaliser son potentiel, sans les entraves des barrières artificielles, érigées par des sociétés plus anciennes et plus stratifiées, comme les sociétés européennes. "Sans égard pour les circonstances fortuites de naissance ou de position", pour le citer dans le texte.

    Des attaques croisées contre le principe méritocratique

    On reconnaît là le principe d’équité, ou encore d’égalité des chances, qui est à la base de la majorité des théories anglo-saxonnes modernes de la justice. On peut le résumer ainsi : il faut tout mettre en œuvre pour que les chances de chaque compétiteur de gagner la course soient les mêmes, lorsqu’ils sont sur la ligne de départ. A l’arrivée, les efforts et les talents des plus méritants seront récompensés au plus grand bénéfice de tous. Cela rappelle notre fameuse "méritocratie républicaine", basée sur la sélection par le diplôme. 

    Car comme notre méritocratie républicaine, celle des Anglo-Saxons se fonde de plus en plus sur le niveau de diplôme, et non plus, comme autrefois, en Amérique, sur le flair, l’audace, ou l’esprit d’entreprise. 

    Les universités d’élite de la Ivy League, aux Etats-Unis, celles qui appartiennent au Russell Group, incluant Oxford et Cambridge, en Grande-Bretagne, sont un peu l’équivalent de nos grandes écoles. L’accès y est sélectif. En 1995, l’Université de Chicago admettait 71 % des candidats qui s’y présentent. L’an dernier, ce pourcentage est tombé à 6 % ! Les diplômes qu’elles délivrent ont une forte valeur sur le marché du travail. Ou plutôt, ils avaient une grande valeur. 

    Le cas américain

    Nous assistons probablement au début d’un processus de dévalorisation des diplômes – ce que le Britannique David Goodhart appelle "la tête". Elle va de pair avec des attaques politiques virulentes contre la méritocratie en tant que principe de sélection des élites. 

    La plus remarquée est celle lancée par la star américaine des campus, Michael Sandel, dans son livre, The Tyranny of Merit. Mais Kwame Anthony Appiah l’avait précédé, par un article consacré à l’inventeur du terme meritocracy, Michael Young, paru dans la New York Review of Books en octobre 2018. Il faudra aussi se pencher sur le livre de l’éminent professeur de droit, Daniel Markovits, The Meritocracy Trap. Son sous-titre est un bon résumé : Comment le mythe fondateur de l’Amérique nourrit l’inégalité, disloque la classe moyenne et dévore l’élite.

    Les attaques contre la méritocratie se multiplient en ce moment dans le monde anglo-saxon. Et l’on pourrait trouver cela surprenant. Car, après tout, en principe, que les plus capables, les plus travailleurs, les plus méritants en somme, soient récompensés de la valeur ajoutée qu’ils apportent à la société, sous forme d’innovations révolutionnaires, ou de performances hors du commun, apparaît assez légitime. 

    Que les médecins, les avocats, les professeurs, ou les ingénieurs soient recrutés sur la base d’examens et de concours vérifiant les compétences qu’ils ont acquises au cours de leurs études, peut difficilement être remis en cause. Que le recrutement des fonctionnaires se fasse sur concours est certainement plus rationnel et plus sain que sur la base de leur proximité personnelle avec les représentants du pouvoir politique en place. Comme l’écrit David Goodhart, à propos de la Grande-Bretagne, "bien des gens préfèrent l’idée d’une méritocratie cognitive à celle d’une classe dirigeante héréditaire, telle qu’elle prévalait dans un passé si lointain."

    L'exemple de la Grande-Bretagne

    Dans ce pays, la méritocratie a été, dans les années 1980 et 90, dit aussi Goodhart, excellent témoin des années Tony Blair, l’une des grandes idées de la gauche modérée. Puisque les idéaux du socialisme s’avéraient décidément inopportuns, on pouvait se raccrocher, comme l’ont fait les blairistes, à l’idée d’égalité d’opportunité. 

    Par la suite, le centre-droit aussi, sous David Cameron, s’est rallié à l’étendard de la méritocratie. C’était une bonne façon, pour les Tories, de faire oublier les anciens lien avec les grandes familles, la gentry, les propriétaires terriens. Une manière de rompre avec la société de castes qu’avait été longtemps l’Angleterre, en faisant la promotion de la mobilité sociale. 

    Cela tombait bien. A cette époque, le mantra des dirigeants était le passage de la société industrielle à la société de services. Les usines avaient commencé à fermer pour se délocaliser. Il fallait, pensait-on, généraliser les études supérieures pour former les nouveaux bataillons de cadres généralistes, capables de changer plusieurs fois de métiers au cours de leur vie professionnelle. La Grande-Bretagne se fixa l'objectif de 50 % d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur. Mais peut-être nos économies ont-elles atteint la limite de cette logique, aujourd’hui en voie d’être dépassée… 

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La méritocratie en procès

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