En 1746 paraissent des Dissertations sur les apparitions des anges, des démons et des esprits, et sur les revenants et vampires de Hongrie, de Bohême, de Moravie et de Silésie. Dans cet ouvrage de Dom Calmet, un moine bénédictin, un des chapitres s’intitule Maison prétendue infestée par des Spectres. Il y est notamment question d’une maison abandonnée dans l’antique Athènes dans laquelle un visiteur de passage, un philosophe, entend des bruits, comme une chaîne que l’on traîne. Soudain, un vieillard affreux apparaît. Il est couvert de fers : c’est un fantôme ! Le spectre conduit le philosophe jusqu’à la cour de la maison. Des fouilles dévoilent un squelette enchaîné. Les os sont libérés puis ensevelis avec respect. "Depuis ce temps, la maison est tranquille", précise Dom Calmet. Antiques ou contemporaines, les histoires de maisons hantées fascinent, mais que disent-elles des sociétés qui les produisent ?
"Le droit du XVIe siècle se saisit de la question des maisons hantées. La peste et le spectre sont pensés de la même manière : une menace invisible dont on ne maîtrise pas la circulation." Caroline Callard
Dès l’Antiquité, les récits de maisons hantées foisonnent. Ces histoires circulent d’époque en époque et se transforment au gré des peurs et des événements du temps. L'historienne Caroline Callard, auteure de l'ouvrage Le Temps des fantômes, spectralités de l’âge moderne (Fayard, 2019), remarque une continuité dans le temps des histoires de fantômes. Chaque résurgence fantomatique révèle la façon dont les sociétés conçoivent et agissent avec le fantôme. C'est pourquoi les apparitions spectrales sont un outil important et intéressant pour les historiens et historiennes.
Au XVIe siècle, à l’heure des guerres de religions et des vagues de peste noire, le motif de la maison hantée est particulièrement présent. Caroline Callard explique qu'alors que la maison a cessé d'être un refuge, réhabiliter son statut d'asile sacré devient un enjeu. "C'est pour cela que la transgression de cet asile est aussi puissamment ressentie, note l'historienne. Les juristes tentent d'apporter une réponse au scandale qu'est cette transgression radicale."
L’esprit frappeur est souvent l’ancien occupant de la maison qu’une mort brutale empêche de trouver le repos et qui revient tourmenter les mortels qui ont élu domicile dans sa demeure. Ces croyances sont si vivaces que la question des apparitions surnaturelles devient un casus belli majeur dans le contexte de la Réforme. L’Église défend cette croyance et présente ces apparitions comme la manifestation des âmes du purgatoire. Le protestantisme récuse l’existence du purgatoire et s’efforce de mettre fin à ces croyances jugées superstitieuses.
"Dans les mutations des XVIIIe et XIXe siècles, périodes perçues comme très rationalistes, le fantôme devient une sorte d'énigme." Stéphanie Sauget
Au XVIIIe et au XIXe siècle, malgré les progrès de la science et la sécularisation des sociétés occidentales, la maison hantée reste omniprésente. On la retrouve au théâtre, dans la presse, en littérature… L’Église, les spirites et les scientifiques s’efforcent de prévenir ce phénomène, de l’encadrer, de l’expliquer. Stéphanie Sauget, professeure en histoire contemporaine à l'université de Tours, raconte que les sources du XIXe siècle montrent essentiellement des discours d'enquête qui cherchent à percer le secret de la signification du fantôme, s'il a un message à délivrer, quel serait sa fonction. La presse, qu'elle soit quotidienne, nationale ou régionale, se passionne pour les histoires de fantômes et contribue à véhiculer ces récits. "Les articles tiennent en haleine les lecteurs pendant plusieurs mois, raconte l'historienne, et se terminent par le dévoilement d'une supercherie."
Jusqu’aux années 1930, la maison hantée reste le double maléfique du home sweet home, le révélateur d’un foyer perturbé et dysfonctionnel. Comment l’histoire des maisons hantées permet-elle d’éclairer les peurs et les dysfonctionnements de chaque époque ? Comment les discours ésotériques, religieux et scientifiques se sont-ils articulés autour de cette question ? Comment expliquer que la maison hantée soit restée aussi centrale dans nos imaginaires ? Caroline Callard et Stéphanie Sauget racontent l'histoire des fantômes par le truchement des lieux qu'ils hantent. "Le dispositif où s'inscrit l'apparition, observe Caroline Callard, occupe une place importante dans les récits sur les fantômes."
Intervenantes
Caroline Callard est historienne, directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales. Spécialiste de la Renaissance et de l'époque moderne, elle a publié Le Temps des fantômes, spectralités de l’âge moderne (XVIe-XVIIe siècle) (Fayard, 2019) et Le Prince et la République. Histoire, pouvoir et société dans la Florence des Médicis au XVIIe siècle (Sorbonne Université Presses, 2007).
Stéphanie Sauget est agrégée et docteure en histoire contemporaine, professeure à l'université de Tours. Elle est l'auteure de À la recherche des pas perdus : une histoire des gares parisiennes au XIXe siècle (Tallandier, 2009), Histoire des maisons hantées : France, Grande-Bretagne, États-Unis (1780-1940) (Tallandier, 2011). Elle a dirigé Les Âmes errantes (Creaphis, 2012) et Voisiner : Mutations urbaines et construction de la cité du Moyen Âge à nos jours (avec Albane Cogné, Laurent Besse et Ulrike Krampl, Presses Universitaires François-Rabelais, 2016).
Caroline Callard et Stéphanie Sauget ont écrit à quatre mains l'article « La hantise comme "œuvre du siècle" : un projet de maison hantée pour l’Exposition universelle de 1900 » paru dans le numéro 54 de la Revue d'histoire XIXe siècle cité dans l'émission.
En fin d’émission, Valérie Hannin, directrice de la rédaction du magazine L'Histoire, présente le dossier de novembre 2021 : Princes de Bourgogne, la puissance fracassée.
Références sonores
- Archive du Chant 1 "Le Purgatoire" de La Divine Comédie de Dante lu par Michel Tréguier - RTF, 26 mars 1973
- Extrait du film Beetlejuice de Tim Burton, 1988
- Montage à partir d'extraits du film S.O.S. Fantômes d'Ivan Reitman, 1984
- Extrait de Thierry la Fronde, épisode "Thierry et le fantôme" de Pierre Goutas, 1963