Le 17 mars s’est achevée la résidence au Théâtre des Amandiers du cinéaste Bertrand Mandico. Il y a mis en spectacle puis filmé Conan la Barbare, vaste projet qui fera également l’objet d’un moyen métrage, d’un long métrage et d’un film de réalité virtuelle. L’occasion pour Bertrand Mandico de revenir, au micro d’Arnaud Laporte, sur ses méthodes de travail pour le moins originales et de partager l’univers surréaliste qu’il développe dans ses films.
Du dessin au cinéma
Originaire d’un petit village du Sud-Ouest de la France, c’est par la télévision que Bertrand Mandico découvre le cinéma. Adolescent, il se rêve déjà cinéaste et imagine ses propres films en dessinant. C’est ainsi qu’il entre à l’Ecole de cinéma d’animation des Gobelins, qu’il envisage comme une porte d’entrée sur le cinéma. Le Cavalier Bleu (1999) est un de ses premiers films d’animation. Mais assez rapidement, il se consacre à la prise de vue réelle et réalise, depuis, une trentaine de courts et moyens métrages, dont Boro in the Box (2011), ou Ultra Pulpe (2018), ainsi qu’un premier long métrage en 2017 : Les Garçons sauvages. Par ailleurs, depuis 2011, aux côtés de l’actrice Elina Löwensohn, il mène un projet de 20+1 projections, qui consiste à réaliser 21 films en 21 ans pour travailler ensemble sur leur propre vieillissement.
Un univers surréaliste
Les films de Bertrand Mandico se caractérisent par une esthétique camp à la fois sophistiquée et artisanale, dans laquelle il multiplie les effets visuels. Les genres et les frontières y sont abolis : entre le masculin et le féminin, entre l’humain, la machine et la nature, etc. Il emprunte également à différents genres cinématographiques, se jouant de leurs codes et multiplie les sources d’inspiration qu’elles soient plastiques, littéraires ou cinématographiques, déployant tout un jeu de références et de citations. Il crée ainsi un univers onirique dans lequel l’érotisme surréaliste - qu'il puise notamment dans le cinéma de Walerian Borowczyk - occupe une place centrale.
Il y a une première idée, une première image qui me vient et puis il y a des associations d’idées. Je suis mon premier spectateur, donc j’ouvre mon imaginaire, il y a des images qui affluent, et j’essaye de les guider pour me surprendre, parce que je suis un spectateur difficile. Donc j’essaye de me surprendre en me donnant des contraintes même parfois. C’est comme ça que j’élabore un récit et que je couche sur le papier le scénario et les dialogues. […] Mes références je les assume totalement. Mais ça ne m’apparaît pas de façon flagrante sur le moment. C’est après coup que je constate qu’il y a toutes ces références qui apparaissent.
Un cinéma expérimental jusque dans sa réalisation
La dimension expérimentale du cinéma de Bertrand Mandico se retrouve également dans la manière dont ses films voient le jour. S’il porte un regard bien à lui sur le travail d’écriture, le tournage revêt une importance particulière. Il cadre lui-même, à l’épaule, et accorde une grande attention aux décors, mais aussi à la direction des acteurs et actrices. Puis vient le travail de la bande son, indépendant de celui de l’image. Bertrand Mandico pratique donc un cinéma résolument différent, allant même jusqu’à interroger la manière dont les films sont rendus publics, rêvant de programmations nocturnes et de propositions non conventionnelles.
J’ai commencé à dissocier son et image quand j’ai voulu vraiment travailler profondément l’image. Je me suis aperçu que je n’arrivais pas à travailler les deux en même temps. Par ailleurs, j’ai remarqué que les films qui étaient postsynchronisés étaient des films qui me troublaient plus, que je trouvais beaucoup plus étranges. J’ai commencé à me questionner sur cette technique de la postsynchronisation, du doublage, du son fabriqué parce que j’avais envie de retrouver cette qualité de film, cette expérience particulière. Donc quand je tourne, j’ai un son témoin dont je me débarrasse très vite qui nous aide à monter et je me concentre sur le jeu mais de façon extrêmement visuelle. Une fois que le premier bout à bout des images est monté, avec ma monteuse, Laure Saint-Marc, on commence à travailler sur le son : on va chercher des sons à droite à gauche, on détourne des sons qui n’ont rien à voir avec ce qu’on voit, et par association d’idées on construit la bande son, petit à petit. Puis il y a la phase de bruitage et la phase musicale très importante - je travaille avec Pierre Desprats, un musicien que j’aime beaucoup. Et puis il y a la postsynchronisation que redoutent les actrices, mais elles retombent sur leurs pattes, retrouvent le ton et l’intensité de jeu. J’interviens en direction d’acteur : je nuance, je contredis, bref je travaille le son vocal et la direction d’acteur d’une façon un peu particulière et assez précise et c’est comme ça que je construis ma bande son.
Son actualité : dans le cadre de son projet Conan la Barbare, il a été accueilli en résidence au Théâtre des Amandiers à Nanterre. Il y a monté un spectacle qui a fait par la suite l’objet d’un film dont le tournage s’est achevé le 17 mars.
Découvrir le site de Bertrand Mandico.
Sons diffusés pendant l'émission
- Eraserhead, David Lynch, 1977.
- Baisers volés, François Truffaut, 1968.
- "Spare Ass Annie" de William Burroughs, dit sur la musique "The Disposable Heroes of Hiphoprisy”, Spare Ass Annie and other tales, 1993.
- Jean Cocteau s’adresse à l’an 2000, archives de l’INA, 1962.
- Extrait de la bande originale d’Ultra Pulpe de Bertrand Mandico, composée par Pierre Desprats, 2018.