Médiathèque Georges Brassens

A partir des années 1850, les grands magasins font irruption sur la scène commerciale. Supplantant les boutiques spécialisées et les petits commerces, ces cathédrales de la consommation fleurissent dans les grandes villes européennes et américaines, dont les épicentres sont Paris, Londres et New-York. Peu à peu, les grands magasins s’imposent et deviennent des incontournables de la consommation. Pour établir leur règne, ils introduisent des techniques commerciales innovantes qui leur sont tout à fait caractéristiques et constituent leur marque de fabrique : renouvellement constant des stocks, rayonnages très variés, fin du marchandage.

Les Grands Magasins, cathédrales de la consommation : stratégies commerciales et consommation de masse

L'aménagement des vitrines va créer une mise en spectacle de la ville, le consommateur devient également un flâneur, Anthony Galluzzo précise "l'apparition de ces grands bâtiments spécialement dédiés à la vente avec ces grandes vitrines, pour citer Jean Baudrillard dans son livre "Le système des objets", une vitrine c'est la féérie et la frustration, c'est la stratégie même de la publicité. L'hameçonnage est une des premières techniques de la spectacularisation de la marchandise qui permet d'attirer à soi, depuis les déambulations urbaines, des chalands qui vont ensuite pénétrer les lieux et être époustouflés par la richesse et le luxe architectural. Les grands espaces composés par les grands magasins, où il y a tout un ensemble de produits à la fois modernes, hautement technologiques, tels que l'électricité, les ascenseurs etc. et en même des matières qui renvoient à l'extrême richesse, comme le marbre et le bois précieux des palais. Les grands magasins ont été pensés comme un spectacle et on en parle souvent comme des cathédrales de la consommation". A l'intérieur de ces grands magasins, c'est une sorte de faux désordre qui est organisé, Florence Brachet-Champsaur ajoute "parmi les grands magasins, plusieurs sont héritiers des bazars et effectivement ce terme renvoie bien à cette déambulation. Quand on parle des Galeries Lafayette souvent, on dit familièrement les farfouillettes, il y a aussi un côté qui renvoie à l'architecture. Si on prend les Galerie Lafayette, l'architecture est circulaire, avec la coupole et le grand hall qui créent un appel très fort. On tourne, on se perd, on s'égare, il y a donc cette idée de la déambulation. On trouve en plus souvent un décor orientaliste, inspiré de l'art nouveau qui renforce cette idée de bazar".

Une science de l’étourdissement : faire des grands magasins des lieux de fascination

En favorisant la sédentarisation de leur clientèle sur le lieu de vente, les grands magasins sont peu à peu devenus le lieu incontournable de la sociabilisation féminine. L’endroit permettait aux femmes d’échapper au foyer et de faire communauté, à l’image des hommes qui depuis longtemps déjà se réunissaient en clubs. Dans le Paris, New York ou Londres du milieu du XIXe siècle, la présence féminine dans les rues avait quelque chose d’audacieux, voire de scandaleux, selon Florence Brachet-Champsaur "les grands magasins sont conçus pour que les femmes puissent faire communauté et s'y retrouver. Ils sont aussi un lieu de conversation entre les femmes et cela crée du lien social. Mais c'est aussi un des leviers de la critique du grand magasin. Il s'agit d'une critique morale, il y a d'études sur la cleptomanie qui serait favorisée par le grand magasin parce que la femme se trouve au milieu de toutes sortes de tentations. On trouve une femme cleptomane dans le roman de Zola". Par ailleurs, les grands magasins ont inventé des techniques commerciales, Anthony Galluzzo nous explique "le marchandising ou la science de l'étourdissement est un peu posée à l'intuition au XIXe siècle, cela va être scientifisé, mathématisé dans le cadre du marketing tout au long du XXe siècle. Avec, par exemple, le fait de mathématiser le rapport à l'espace, avec les zones chaudes et les zones froides où les chalands circulent dans les magasins, et afin de s'assurer qu'ils voient bien tel produit entreposé à tel endroit, en bouleversant l'ordre des rayonnages dans un sens bien calibré. On trouve aussi toute une dimension de simulation, il y a une simulation de l'entre-soi bourgeois, une simulation exotique et du lointain avec un imaginaire orientaliste".

Pour aller plus loin

• Anthony Galluzzo : La fabrique du consommateur (La Découverte, 2020)
• Anthony Galluzzo : Le mythe de l’entrepreneur (Zones, La Découverte, à paraître le 12 janvier 2023)
• Florence Brachet-Champsaur :  Créer c’est avoir vu le premier. Les Galeries Lafayette et la mode (1893-1969), thèse de doctorat d’histoire de l’EHESS
• Article de Florence Brachet-Champsaur : "Le Festival de la création française »(1954) Les Galeries Lafayette pionnières du style industriel". in French Historical Studies , 2020, vol. 43, no 2, p. 299-323
• Florence Brachet : Du grand bazar de l'hôtel de ville au BHV Marais, le grand magasin préféré des Parisiens (Assouline, 2016)

Références sonores

• Lecture d’un extrait de Le bonheur des dames, de Zola, le Feuilleton, France Culture, Mai 2022
• Archive 1950, Reportage sur les Galeries Lafayette, Archives de l’été, France Culture, 20 août 2021
• Extrait de la série Mr Selfridge réalisée par Andrew Davies, 2013
• Extrait du film Carol réalisé par Todd Haynes, en 2015

Références musicales

• Vitrines, par Léo Ferré
• Change, par King Gizzard&the Lizar Wizard