Qui a eu cette idée folle ? C’est sans doute Robert Gall, le parolier de chansons à succès. Il a écrit "Au voleur" pour Magalie Noël, "Les Amants merveilleux" pour Édith Piaf et surtout "La Mamma" pour Charles Aznavour. En 1964, Robert Gall est très inspiré quand il écrit les paroles d’une chanson pour sa fille, France Gall :
"Qui a eu cette idée folle
Un jour d'inventer l'école
C'est ce sacré Charlemagne
Sacré Charlemagne"
L’inspiration est là, car il y a en effet un peu de sacré dans les écoles carolingiennes, qu’il s’agisse de Saint-Martin de Tours ou, en Suisse, de l’abbaye de Saint-Gall. Mais qui a eu cette idée folle, un jour, d’inventer les profs ?
Un renouveau de l’école sous les Carolingiens ?
La Renaissance carolingienne ou réforme carolingienne évoque le changement dans le domaine culturel et ecclésiastique, initié par Pépin le Bref, père de Charlemagne, puis poursuivi par Charlemagne lui-même. À la cour, Charlemagne s’entoure d’érudits et de lettrés venus de toute l’Europe, comme le savant anglo-saxon Alcuin. En 789, l’empereur promulgue le capitulaire Admonitio generalis, qui impose la création d’une école dans chaque évêché et propose un programme d’apprentissage détaillé qui vise à améliorer l'enseignement. Bien que Charlemagne n’ait pas inventé l’école, contrairement à une légende tenace, la réforme carolingienne est bien un moment fondateur pour les institutions scolaires. "Dans ce capitulaire, Charlemagne veut que chaque paroisse corresponde à une école. Ce dernier n’a pas inventé le principe de l'école, mais il a l'idée d'une généralisation de celle-ci, qui doit être accessible à tout chrétien, et pas simplement à ceux qui se destinent au sacerdoce ou à reprendre la charge de prêtre de leur père.", précise Marie-Céline Isaïa.
Le rôle des écolâtres du Moyen Âge
La fonction d’écolâtre émerge à partir du IXe siècle. Le premier office d’écolâtre connu date de 841 à Saint-Martin de Tours. Il s’agit d’un maître qui enseigne dans les écoles ecclésiastiques, qu’elles soient monastiques, épiscopales ou cathédrales, ou encore canoniales ou collégiales. Les écolâtres cathédraux jouent un rôle particulièrement important dans le monde scolaire médiéval. Tout au long de la période, les offices d’écolâtre se multiplient, tandis que la fonction elle-même évolue progressivement. D’un maître, aux prérogatives strictement scolaires, l’écolâtre devient peu à peu un administrateur, qui dirige l’école, recrute des maîtres pour enseigner, et est surtout chargé de délivrer une autorisation pour enseigner, la licentia docendi. "Dans les écoles cathédrales, c’est l’évêque qui choisit l’écolâtre. Il est parfois pris par les chanoines. Il y a presque un marché qui se met en place. Des maîtres peuvent passer d’une église à une autre. À partir du XIe siècle, le recrutement de l’écolâtre passe des mains de l’évêque à celle du chapitre.", décrit Thierry Kouamé.
Certains écolâtres profitent de ce privilège pour vendre la licence d’enseignement, ce qui s’avère très lucratif. Au XIIe siècle, la papauté lutte contre cette pratique de simonie scolaire. Elle met ainsi en place un droit scolaire, qui interdit de vendre la licence, mais impose néanmoins de la détenir pour pouvoir enseigner. En régulant la manière dont le droit d’enseigner doit être accordé, l’Église met en place un contrôle sur l’enseignement, et même un monopole de l'enseignement, qui est parfaitement établi à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle.
Entre culture chrétienne et héritage antique, un enseignement pluriel
Dans les écoles monastiques, l’activité des scriptoriums, où les moines produisent, copient, enluminent et relient des manuscrits, est en pleine expansion. L’adoption de la minuscule caroline, qui remplace la minuscule mérovingienne, améliore la clarté et la lisibilité de la graphie. Les écoles forment un réseau dense d’échanges et de circulation, à la fois à travers les dons de manuscrits entre bibliothèques, et les déplacements de maîtres et d’élèves. Les savants voyagent dans toute l’Europe, et les écoles s'efforcent d’attirer des maîtres réputés, capables d’assurer leur rayonnement. Les élèves viennent en effet de loin pour étudier avec un savant particulièrement renommé.
Le programme enseigné repose sur deux piliers : la culture chrétienne et l’héritage antique. Les élèves doivent donc à la fois recevoir une éducation religieuse – connaître la Bible, savoir chanter les psaumes –, et apprendre les arts libéraux, composés du trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et du quadrivium (arithmétique, musique, géométrie, astronomie). Certaines écoles, en particulier les écoles monastiques, peuvent avoir une spécialisation, par exemple en théologie, en médecine, ou en droit.
Les cours ont lieu en latin, ce qui rend la culture écrite très difficile d’accès et conduit là encore à un quasi-monopole de l’Église sur le savoir, puisque c’est elle qui en assure la transmission. Cependant, l’enseignement clérical n'est pas un monopole absolu dans l’ensemble de la chrétienté : "On voit apparaître en Italie à partir du XIe siècle des écoles urbaines qui enseignent l’art du notariat ou le droit. Au sud des Alpes, en Italie, les maîtres sont laïques et enseignent des matières purement profanes." , analyse Thierry Kouamé. La Renaissance carolingienne se distingue à la fois par une amélioration du savoir et de sa diffusion, et par une restriction de la culture écrite aux mains de l’Eglise.
Pour aller plus loin
- Thierry Kouamé, Bruno Belhoste, Boris Noguès, Emmanuelle Picard (dir.), Examens, grades et diplômes. La validation des compétences par les universités du XIIe siècle à nos jours, Éditions de la Sorbonne, 2023
- Marie-Céline Isaïa, Makram Abbès (dir.), Liberté de parole. Les élites savantes et la critique des pouvoirs, Orient et Occident, VIIIe-XIIIe siècle, Brepols, 2023
- Thierry Kouamé, De l'office à la dignité. L'écolâtre cathédral en France septentrionale du IXe au XIIIe siècle, Brill, 2021
Références sonores
- Archive au sujet d'Alcuin, Radio scolaire, 1956
- Archive INA de Maurice de Gandillac à propos du capitulaire de Charlemagne, RTF, 1954
- Lecture par Olivier Martinaud d'un extrait de la Vie de Charlemagne d'Éginhard, vers 830, éditée et traduite par Louis Halphen, 1923
- Archive INA au sujet de Charlemagne, La Tribune de l'histoire, France Inter, 1967
- Lecture par Olivier Martinaud d'un extrait du manuel d’Ælfric Bata, traduit par Arnaud Lestremau
- Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020