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Les Taïnos, la fin d’un monde

Vincent Charpentier
Diffusé le samedi, 15 juin 2024 (30 min)


Le 12 octobre 1492, sur une île des Bahamas, la société taïno bascule brutalement dans le crépuscule de son histoire. Les caravelles de Christophe Colomb jettent l’ancre et découvrent les premiers amérindiens.


André Delpuech Conservateur général du patrimoine, chercheur au Centre Alexandre Koyré à l’EHESS, et ancien directeur du musée de l’Homme et responsable des collections des Amériques au musée du Quai Branly.



   
Provient de l'émission
L'Entretien archéologique

Au programme
  • La culture taïno s’épanouit entre les Grandes Antilles et les Bahamas, notamment dans les îles d’Hispaniola, désormais Haïti, République dominicaine et Porto Rico. L’arrivée des caravelles de Christophe Colomb, en 1492, signera la fin du premier peuple amérindien de la mer des Caraïbes à avoir subi la conquête européenne et à avoir été anéantis par la colonisation, les guerres et les maladies.

    André Delpuech : "Dès l'arrivée des Européens dans ces îles, il y a une fracture qui s'est opérée, qui était aussi une réalité ethnologique. Quand Christophe Colomb aborde les Bahamas, puis les Grandes Antilles, il rencontre des populations qui sont très pacifiques, les Taïnos."

    André Delpuech : "Ces sociétés sortent de la forêt tropicale amazonienne, où elles ont vécu en naviguant sur les grands fleuves que sont l'Orénoque ou l'Amazonie, pour, en quelques décennies, devenir de grandes sociétés marines qui vont sillonner cette mer des Caraïbes. [...] A l'époque amérindienne, ça circulait d'île en île, et la mer n'est pas une barrière mais bien un lien. Je préfère, d'ailleurs, à ce titre, parler d'un archipel, puisque ce sont aussi devenus de grands pêcheurs qui consommaient tous les produits de la mer."

    Entre politique et religion : la société taïno

    Seuls quelques mots taïnos sont parvenus dans la langue française dont, en tête, « cacique » mais aussi « tabac, hamac, yucca, maïs, patate et barbecue », enfin « ouragan ». Pour autant que sait-on sur cette société ?

    « Ils vont nus, tels que leur mère les a enfantés, peignent le corps en brun ; d’autres se peignent en blanc et d’autres en rouge vif… et les femmes aussi » Christophe Colomb.

    D’origine amazonienne, et notamment des sources de l’Orénoque, la communauté Taïno, locuteur de l’Arawak est une société parfaitement adaptée aux espaces maritimes et insulaires. Les Taïnos sont des agriculteurs, ne possédant pas d’écriture, mais ayant développé des sociétés complexes. Entre les XIIe-XVe siècles, ces chefferies taïnos, régies par des caciques, sont alors organisées de manière très hiérarchique. Ce pouvoir centralisé, associé à une importante démographie, autorise alors la réalisation de grands travaux d’aménagement. Au cœur des chefferies taïnos, le politique et le religieux s’interpénètrent. Au côté du cacique, officie le chamane ou « behique ». Pour mieux accéder à l’au-delà, après un jeûne puis une purification par vomissement, chamanes et caciques devaient inhaler la poudre d’une plante hallucinogène (la Cohoba), entraînant une transe hypnotique, en lien avec les esprits des strates supérieures. Les grands centres cérémoniels d’Hispaniola voyaient de puissants rassemblements religieux.

    André Delpuech : "Les trigonolithes sont un des grands mystères de l'archéologie antillaise et ils sont propres à l'archéologie antillaise. On n'en trouve pas sur le continent. Ce sont des pièces de forme triangulaire, mais qui apparaissent très tôt, bien avant les Taïnos. On les trouve dans la culture des Saladeros il y a 2000 ans autour de notre ère, dans des fouilles que j'ai réalisées en Guadeloupe. [...] On les appelle des zémis, ce sont, dans le langage taïno, des esprits."

    Kalinagos : Caraïbes ou cannibales ?

    Les Kalinagos, entre Trinidad et la Guadeloupe, sont des sociétés bien plus belliqueuses que les Taïnos. Ceux-ci se regroupent sous la forme de puissantes coalitions temporaires afin de mener des raids jusqu'à Porto Rico ou sur le continent. Les objectifs sont alors l’acquisition de biens, le rapt de femmes et la capture de prisonniers destinés à certains rites anthropophages.

    André Delpuech : "La société kalinago est très différente de la société taïno car c'est une société qui n'est pas hiérarchisée. Le pouvoir politique s'exerce au niveau d'un village avec, à la tête, un chef qui est souvent un homme d'âge mûr ayant déjà réalisé des exploits."

    À la fin du XVe siècle, ces habitants des Petites Antilles, rencontrés pour la première fois en Guadeloupe lors du second voyage de Christophe Colomb en novembre 1493, ont été d’emblée appelés Caribes et /ou Cannibales, le mot ayant la même étymologie. Quoiqu’il en soit, les Kalinagos résisteront longtemps aux colonisations françaises et anglaises du XVIIe siècle, quelques groupes se maintenant jusqu’à nos jours à la Dominique.

    André Delpuech : "Ces spatules sont des objets pour lesquels je me suis livré à une enquête qui a duré plusieurs années. [...] Elles n'ont pas été pillées, et nous avons réussi à acheter quatre des spatules sur les cinq qui étaient dans la même grotte, et grâce aux indications d'un archéologue américain, on a même pu retrouver, avec des collègues dominicains, la grotte d'où elles proviennent."

    Quand les Taïnos s’exposent

    Si la notoriété de cette société préhistorique antillaise a désormais, en France, dépassé le simple cercle des initiés, c’est sans nul doute au travers d’une exposition, en 1994, au Petit Palais : « l'Art des sculpteurs taïnos : chefs-d'œuvre des Grandes Antilles précolombiennes », manifestation née de l’intérêt voire de la passion d’un homme, alors maire de Paris, Jacques Chirac. Le but d’alors était, non seulement de rendre hommage aux sociétés autochtones amérindiennes, comme de répondre aux célébrations polémiques des 500 ans de la « découverte de l’Amérique » en 1992. Trente ans plus tard, le Musée du Quai Branly-Jacques Chirac rouvre le dossier au travers d’une nouvelle exposition « Taïnos et Kalinagos des Antilles ».

    A visiter, la très belle exposition, "Taïnos et Kalinagos des Antilles" au musée du Quai Branly-Jacques Chirac du 4 juin au 13 octobre 2024.

    Archive sonore

    • Nous remercions l'Ina, et Sylvia Monduc, pour les deux archives diffusées dans l'émission, extraites de l'émission "Pot au feu" (producteur Jean Lebrun) du 10 avril 2000, comportant un extrait du discours d'inauguration de l'exposition au Petit Palais à Paris consacrée aux Taïnos, prononcé par le maire de Paris, Jacques Chirac en 1994.

    Pour aller plus loin

    >> Et aussi, du 14 au 16 juin 2024, ne manquez pas les Journées Européennes de l'Archéologie.****

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L'Entretien archéologique
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  • Radio France
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