Médiathèque Georges Brassens

Parvenant lui-même à passer de la bourgeoisie à la noblesse grâce à la charge de trésorier général dont il hérite, la Bruyère - "transclasse" du 17e siècle - se fait observateur et critique des Hommes qui voyagent entre ces deux mondes. Acquis aux valeurs de la noblesse dont il se fait le défenseur, il est critique de la place que les bourgeois se font au sein des cours grâce à leur seule fortune. Car lui est croyant et fervent défenseur de l'honnête homme, cultivé et point trop ambitieux. Il est aussi défenseur des valeurs de tempérance antiques, qu'il mentionne régulièrement dans Les Caractères, l'œuvre de sa vie, qui l'a fait connaître et qu'il a grossi de ses maximes, portraits et réflexions entre la première édition en 1688 et la dernière en 1694.

Les Caractères est la trace d'un monde, témoin du passage de pouvoir entre le monde économique et le monde de la noblesse, cent ans avant la Révolution. L'ostentation des bourgeois soucieux de se faire une place parmi les puissants choque les valeurs de la noblesse, qui veut être seule, digne des apparats. Béatrice Guion nous rappelle "'Les Caractères' se font l’écho des mutations socioéconomiques contemporaines du règne de Louis XIV. L’importance considérable de la question de l’argent et du luxe dans l’ouvrage sont à lier à la montée de la classe bourgeoise face au déclin financier de l’aristocratie : les aristocrates, craignant de voir leur statut financier se décorréler de leur statut social, sont de plus en plus nombreux à marier leurs filles à de riches bourgeois pour les 'sauver'. La Bruyère critique l’avarice, la vanité et l'obsession des gens pour le prestige social dans Les Caractères. Il souligne comment les individus dépensent leur argent pour des biens de luxe et des marques prestigieuses afin de se conformer aux normes sociales et se distinguer des autres".

Dans cet interstice, les notions d'inégalité, de charité, de mérite et d'héritage font l'objet de débats, Laurence Croq ajoute "le fait de dénoncer la misère du peuple est parfaitement cohérent avec les valeurs nobles. Fénelon lui-même, qui a été le précepteur du duc de Bourgogne (le petit-fils de Louis XIV), se présente comme le 'défenseur du peuple' dans ses lettres à Louis XIV et au Duc de Chevreuse. Il parle du petit peuple écrasé par les impôts prélevés massivement pour financer la guerre : c’est totalement dans l’ethos aristocratique de défendre le peuple. Au contraire, l’opposition se fait plutôt entre petit peuple et bourgeois. Somme toute, il y a presque plus de proximité entre la noblesse et le peuple qu’entre le peuple et les bourgeois ; les nobles peuvent voir leur esprit de charité émerger justement parce qu’ils n’ont pas de désir d’accumulation". La façon dont on dépense son argent dit quelque chose des logiques d'ascension et du pouvoir qu'on donne à l'argent aux bourgeois et aux nobles. L'argent, la façon dont on le gagne puis le dépense est au cœur de luttes de pouvoir que La Bruyère aura passé sa vie à décrire et décrier.

Pour aller plus loin

• Article de Laurence Croq et Antoine Roulet : "L’argent des fidèles. Création, gestion et perpétuation des institutions ecclésiastiques", revue Archives de sciences sociales des religions, 191, juillet 2020

Références sonores

• Extrait du film Louis Enfant Roi, réalisé par Roger Planchon, sorti en 1993
• Lecture Bossuet Sermon sur l’impénitence finale, prêché en 1662
• Extrait du film Les Caractères de La Bruyère, réalisé par Éric Rohmer 1965
• Archive INA Extrait du Bourgeois gentilhomme, France Culture, 1980
• Extraits des Caractères lus par Denis Podalydès Editions Frémeaux et associés 2008

Références musicales

•  Caractère, par Gaël Faure
• Nice Town, par Metronomy X Pan Amsterdam