Angleterre, Irlande, une histoire végétale : avec d’un côté la rose, symbole de l’Angleterre et des Tudor, une rose qui se réveille soudain quand elle se souvient qu’il existe une grande île à l’ouest, l’Irlande, où le trèfle rappelle la christianisation de l’île par saint Patrick, les trois feuilles pour la Trinité. Dans cette histoire, nous pourrions ajouter le chardon pour l’Écosse et le poireau pour le Pays de Galles.
Au début du 16e siècle, l’Irlande est le théâtre d'une cohabitation complexe entre différentes communautés. Depuis l'expédition anglaise de 1169, menée par Henri II Plantagenêt, l’île est sous la domination théorique de l’Angleterre. Cependant, à part autour de Dublin, c’est bien le système traditionnel de clans gaéliques qui domine. Pourtant, l'équilibre fragile qui règne en Irlande est bouleversé par la mise en place de la Réforme anglicane.
Henri VIII et la question religieuse en Irlande
Sous le règne d'Henri VIII, la question religieuse devient un enjeu majeur, lorsque le roi d'Angleterre prend ses distances avec le pape en 1534. Sous Elizabeth Ire et tout au long du 17e siècle, la religion anglicane se nourrit des influences calvinistes et devient une forme de protestantisme. L'Irlande au contraire reste une terre catholique. Cette division religieuse s'ajoute aux tensions politiques et économiques existantes et conduit les Anglais à considérer l’Irlande comme un territoire à coloniser. Pour Jean-François Dunyach, "il faut entendre la politique religieuse d’Henry VIII comme une politique tout court. Au tout début des années 1540, l'installation de la “Church of Ireland”, l'Église officielle, distincte désormais de l’Église catholique, induit une sorte de schisme à l’intérieur de la population irlandaise et à l’intérieur de la population britannique d’Irlande, entre ceux qui sont arrivés avant la Réforme, qui restent catholiques, les 'old English' et ceux qui arrivent ensuite, qu’on va considérer comme 'new English'. On voit une marqueterie religieuse s’installer en Irlande."
La mise en place d'une colonie de peuplement
La politique des plantations vise à confisquer les terres irlandaises dans la région de l’Ulster au nord de l’île pour les redistribuer aux colons anglais. D'après Karine Bigand, à partir des années 1550, "on implante des populations considérées comme loyales qui vont mettre en place un maillage de routes, de villes, toute une infrastructure qui n'existait pas jusqu'alors. On implante également la langue anglaise, mais aussi des méthodes agricoles qui diffèrent des méthodes traditionnelles." Pour Élodie Peyrol-Kleiber, "on peut parler de l'Irlande comme laboratoire des stratégies impériales de l'Angleterre. (...) On a vraiment cette idée de 'faire ses armes' en Irlande et de transplanter ses stratégies coloniales dans les colonies nord-américaines."
Cela provoque une insurrection généralisée en 1641. La répression d’Olivier Cromwell, général puritain alors à la tête du Parlement de Londres, est extrêmement féroce. La campagne militaire qu’il conduit entre 1649 et 1651 cause la mort d'environ un tiers de la population et conduit à l’annexion définitive de l’île par l’Angleterre. À partir de 1689 et de la dernière grande insurrection des catholiques, les fonctions politiques et administratives en Irlande sont réservées à une élite anglaise de propriétaires terriens.
Pour en savoir plus
Jean-François Dunyach est maître de conférences en histoire moderne à Sorbonne Université et directeur de recherche au CNRS. Ses travaux portent principalement sur les mondes anglais au 17e et 18e siècles et les échanges intellectuels entre Grande-Bretagne et France.
Il a notamment publié :
- Histoire de l’Écosse, Presses universitaires de France, collection Que sais-je ?, 2023
- Histoire des îles britanniques, coécrit avec Stéphane Lebecq, Fabrice Bensimon, Frédérique Lachaud, François-Joseph Ruggiu, Presses universitaires de France, troisième édition, 2022
- Histoire de la Grande-Bretagne, Presses universitaires de France, collection Que sais-je ?, 2021
- L’Empire britannique, une communauté de destins, codirigé avec Alban Gautier, Presses universitaires de Rennes, 2018
Élodie Peyrol-Kleiber est maîtresse de conférences en civilisation nord-américaine à l’Université de Poitiers.
Elle a notamment publié :
- Les Premiers Irlandais du Nouveau Monde. Une migration atlantique, 1618-1705, Presses universitaires de Rennes, 2016
Karine Bigand est maîtresse de conférences en études irlandaises à Aix-Marseille Université.
Elle a notamment écrit :
- "Mémoire du soulèvement irlandais de 1641 et constructions identitaires dans les îles Britanniques", in David El-Kenz and François-Xavier Nérard (dir.), Commémorer les victimes en Europe : XVIe-XXIe siècles, Champ-Vallon, 2011, pp. 33-46.
- "Statut, influences et motivations de l’élite gaélique d’Ulster pendant l’insurrection de 1641", in Anne-Catherine Lobo, Compositions et recompositions du lien social en Irlande, Presses Universitaires de Caen, 2012, pp. 31-50.
Références sonores
- Archive du professeur A. J. Farmer au sujet d'Henri VIII dans l'Heure de culture française, RTF, 1954
- Lecture par Mathieu Coppalle d'un extrait de l'Essai sur les vraies raisons pour lesquelles l’Irlande n’a jamais été entièrement soumise de Sir John Davies, architecte de la plantation d'Ulster, 1609-1610
- Extrait du film Cromwell de Ken Hughes, 1970
- Archive de l'historien Roland Mousnier à propos d'Olivier Cromwell dans l'Heure de culture française, RDF, 1948
- Lecture par Mathieu Coppalle d'une lettre d'Olivier Cromwell au speaker du Parlement de Londres en 1949
- Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020