Londres est en feu, London’s Burning : 311 ans après le grand incendie de Londres de 1666, c’est le titre que les Clash, qui enflamment l’univers punk et rock des années 1970, donnent à leur album et à une chanson culte. Il s’agit d’une critique politique et sociale, comme un brûlot, qui rappelle à quel point le grand incendie de Londres est resté incandescent dans les mémoires.
À l'Époque moderne, des villes hautement inflammables
À l’Époque moderne, les usages urbains du feu sont multiples : outre l’éclairage, privé et public, et le chauffage, les artisans sont nombreux à utiliser le feu pour leur métier (fours de boulangerie, fonderies, forges, vitreries…). Le risque incendie est omniprésent dans les villes dès la période médiévale. D’un bout à l’autre de l’Europe, les incendies en milieu urbain sont fréquents. Londres en a déjà connu plusieurs, dont celui du théâtre du Globe en 1613 et un incendie majeur de la ville en 1632.
En 1666, Londres est la plus grande ville de Grande-Bretagne. Surpeuplée, elle compte un demi-million d’habitants, qui s’entassent dans des constructions souvent médiocres, majoritairement en bois avec des toits de chaume. "On utilise du goudron – terriblement inflammable – pour protéger le mauvais bois contre la pluie et pour garder le chauffage à l'intérieur des maisons", commente l'historien Allan Potofsky. Le bâti est dense, les maisons souvent collées les unes aux autres, et les rues sont étroites, comme l'explique l'historien Philippe Chassaigne : "À partir du deuxième ou du troisième étage, on a pris l'habitude de construire en encorbellement. En conséquence, les étages supérieurs des maisons se rejoignent pratiquement de chaque côté de la rue. Lorsque le feu éclate, il passe extrêmement rapidement d'une maison à l'autre." Soumise à une pression démographique importante et enserrée dans une enceinte de l'époque romaine, la Cité se développe et est aménagée par ajouts successifs, en une organisation spatiale anarchique. Le plan de la ville suit encore largement le tracé viaire hérité de la période médiévale.
Le déclenchement d'une catastrophe
Dans ces conditions, un départ de feu, aussi petit soit-il, présente un danger considérable. Le 2 septembre, le feu aurait démarré dans la boulangerie de Thomas Farriner dans Pudding Lane. "La farine dans l'air peut exploser et avoir des conséquences pour l'incendie", remarque Allan Potofsky. "C'est pour cela qu'à partir des années 1780, les boulangers parisiens ont été obligés de déplacer les grands fours au-delà des murs des fermes générales qui délimitaient Paris."
Le lord-maire Thomas Bloodworth tarde à réagir et à donner les ordres nécessaires. Le feu se propage rapidement, attisé par des vents importants. Les démolisseurs et les secours peinent à se frayer un chemin dans les rues bondées, où se sont réfugiés les sinistrés qui cherchent à fuir et qui encombrent le passage avec leurs affaires. La principale mesure anti-incendie est alors la destruction des bâtiments en feu, et de ceux qui leur sont adjacents, afin de créer des coupe-feu.
Londres, 80% de la ville rasés
Utiliser l’eau de la Tamise, ce qui nous semble aujourd'hui une option évidente, n’est pas vraiment indiqué. Sur les berges du fleuve, non loin de Pudding Lane, se trouvent des entrepôts et des matériaux hautement inflammables, qui ne tardent pas à prendre feu, quand l’incendie se propage hors de la rue. "Les entrepôts sont gorgés de rhum, un des produits importé en grande quantité depuis les Antilles", relève Philippe Chassaigne. L’accès au fleuve est alors coupé. La Tamise agit néanmoins comme une barrière naturelle contre l’incendie : la rive sud du fleuve est épargnée.
L’incendie se développe et atteint le nord et le cœur de la Cité, dont la majeure partie est détruite. La cathédrale Saint-Paul, entourée d'échafaudages en bois pour sa rénovation, ne tarde pas à prendre feu. Les flammes traversent la rivière Fleet et vont jusqu'à menacer la cour de Charles II à Westminster. L’incendie est hors de contrôle.
En quatre jours, 80% de la ville sont rasés. Si l'on déplore seulement 6 morts, c'est probablement parce que la population est coutumière des incendies et s'est rapidement enfuie. En revanche, 80 000 personnes se retrouvent à la rue et sont envoyées dans les campagnes environnantes de Londres, où leur secours repose sur l'initiative privée.
Pour en savoir plus
Philippe Chassaigne est professeur d’histoire contemporaine à l’Université Bordeaux-Montaigne, spécialiste de la Grande-Bretagne.
Il a notamment publié :
- Londres, la ville-monde, co-écrit avec Marie-Claude Esposito, Vendémiaire, 2013
- La Grande-Bretagne et le monde de 1815 à nos jours, Armand Colin, 2009
- Histoire de l’Angleterre. Des origines à nos jours, Flammarion, 2008
- Histoire de la Grande-Bretagne, co-écrit avec Roland Marx, Perrin, 2004
Allan Potofsky est professeur d'histoire moderne et d'histoire urbaine à l'Université Paris Cité, spécialiste de l’histoire sociale, urbaine et architecturale de Paris.
Il a publié :
- Constructing Paris in the Age of Revolution, Palgrave Macmillan, 2009
Références sonores
Archives :
- Reportage sur le Théâtre du Globe à Londres, France 2, 18 juillet 2017
- Extrait de l’adaptation radiophonique par Claude Mourthé du journal de Samuel Pepys avec Didier Sandre, France Culture, 2003
- Le général Rémond Perdu à propos de l’histoire des sapeurs-pompiers, France Inter, 26 octobre 1972
Musique :
- London’s Burning par The Clash, 1997
- London’s Burning par Lizzy Morris
- Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020