Podcast

Guerres de Religion, les protestants en mode survie (Episode 4 sur 4)

Xavier Mauduit
Diffusé le jeudi, 24 octobre 2024 (59 min)


À la fin du 16e siècle, durant les guerres de Religion, les protestants et protestantes sont contraints à la survie face aux catholiques. Dans cette période tourmentée par la guerre civile, le doute à l'égard du voisin et la dissimulation de soi deviennent cruciaux si l’on veut échapper à la mort.


Jérémie Foa Historien, maître de conférences à l’Université Aix-Marseille, spécialiste de l’histoire des guerres de Religion en Europe
Diane Roussel Historienne, maîtresse de conférences à l’Université Gustave Eiffel, spécialiste de l'histoire de la criminalité, de la justice et la police aux 16-17e siècles et de l’histoire de Paris
Valérie Hannin Directrice de la rédaction du magazine L'Histoire



   
Provient de l'émission
Le Cours de l'histoire

Au programme
  • Voici venu le temps des guerriers de Dieu. Dans l’incroyable violence des guerres civiles du 16e siècle, les protestants, les huguenots, les parpaillots, mais aussi les catholiques, se cachent, dissimulent, esquivent pour préserver leur foi et leur dieu. Et pourtant, il faut vivre, ou survivre, sans poème, sans blesser tous ceux qu’on aime.

    Les guerres de Religion, de véritables guerres civiles ?

    Les guerres de Religion, commencées en 1562 avec le massacre de Wassy, sont une série de guerres civiles, d’affrontements, et de massacres opposant en France la population catholique au groupe minoritaire protestant jusqu'en 1598. La recherche historique se place depuis plusieurs années au plus près des individus pour comprendre la violence mise en œuvre : "Lorsque l'on voit que même des enfants réalisent des gestes d'une horreur absolue, il faut essayer de comprendre quelle est la signification de ces gestes, [à savoir] montrer le caractère immonde de celui qu'on est en train de mettre à mort et de révéler la monstruosité [de] l'hérétique, que l'on se donne le droit de tuer", explique l'historienne Diane Roussel, autrice de Violences et passions dans le Paris de la Renaissance (Champ Vallon, 2012).

    Au contraire de conflits entre États, les quatre décennies de guerres civiles se caractérisent par une grande proximité de la violence. D’une ville à l’autre, la mort peut surgir à n’importe quel moment : sur les places publiques, au pied d’un immeuble et jusque dans le lit. "Celui qui, dans les guerres de Religion, peut vous mettre à mort, ce n'est pas un soldat lointain, un soldat étranger, c'est votre frère, votre femme, votre voisin. La proximité de la menace est en même temps une invisibilité de la menace : on ne peut pas reconnaître l'ennemi à ses simples traits, à son uniforme et à son accent. Il parle la même langue que vous, il [v]ous ressemble, c'est [v]ous. Cette proximité de la menace potentielle [...] suscite une énorme peur", observe l'historien Jérémie Foa, auteur de Survivre. Une histoire des guerres de Religion (Seuil, 2024).

    Dans ce climat de violence constant, la survie devient le quotidien des contemporains de cette période. Ce trouble épuisant s’impose davantage au groupe protestant pour des raisons de rapport de force. En situation de minorité à l’échelle du royaume, ceux-ci doivent dès lors apprendre à maîtriser les techniques de survie pour résister face à l’ennemi catholique.

    Une survie constante et éprouvante

    "Qui vive ?". Ce sont les mots que les contemporains des guerres de Religion ont l’habitude d’utiliser quand ils et elles se croisent. Pour survivre, la principale arme à posséder est d’abord le doute. Dans Survivre. Une histoire des guerres de Religion, Jérémie Foa décrit les quatre formes que revêt le doute : sur les personnes, sur les mots, sur les lieux, sur les objets : "En période de paix, les objets que vous voyez au quotidien vous inspirent assez peu de terreur. Inversement, dans une guerre civile, un sac de farine peut cacher une bombe, une charrette de foin peut cacher des armes… Il faut donc détecter derrière des objets anodins des menaces potentielles", rapporte l'historien.

    À chaque coin de rue, l’ennemi catholique est une personne invisible qu’il faut savoir interroger et démasquer si l’on veut continuer à survivre. Pour entrer comme pour sortir d’une ville, les individus maîtrisent aussi l’art de la dissimulation par le déguisement. On ne compte plus aux portes des villes les usurpateurs entrés par effraction grâce à leur (fausses) apparences de paysan, de moine ou de bonne sœur. Michel de Montaigne, de confession catholique, raconte dans Les Essais la manière dont il a lui-même été trompé par un compagnon de voyage en 1573. C’est seulement après plusieurs jours de voyage qu’il découvre la véritable identité de son voisin. Sur son visage transparaissait de la peur, donc il était huguenot.

    Calmer les ardeurs en revenant aux institutions

    En 1598, l’édit de Nantes est promulgué par le roi de France Henri IV. S’il ne met pas fin au long conflit entre protestants et catholiques, il impose un compromis de tolérance qui fait cesser pendant un temps le bruit des armes. L’édit s’inscrit plus généralement dans une volonté de retour aux institutions. En effet, la société qui sort des guerres de Religion est lassée par les décennies de violences, survies et doutes permanents. En décrétant le droit par nature, le renforcement de l’institution royale soulage du doute les sujets du royaume. La monarchie propose alors des concepts et met en place une politique de pacification qui s’observe à travers le langage et dans l’espace de la ville. Michel de L’Hospital, partisan de la conciliation, évoque ainsi le mot de citoyen au lieu de la division structurelle entre groupes protestants et catholiques. La France qui sort de ces quarante années de guerres civiles est en tout cas transformée considérablement.

    En fin d'émission

    Valérie Hannin, directrice de rédaction du magazine L'Histoire, présente le dossier de novembre 2024 intitulé "Mensonges et secrets d’État".

    Pour en savoir plus

    Jérémie Foa est historien, maître de conférences HDR à l’Université Aix-Marseille, membre du laboratoire TELEMMe. Il est spécialiste de l’histoire des guerres de Religion en Europe.

    Publications :

    • Survivre. Une histoire des guerres de Religion, Seuil, 2024
    • Épreuves de la guerre civile, co-dirigé avec Quentin Deluermoz, Éditions de la Sorbonne, 2022
    • Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint Barthélémy, La Découverte, 2021
    • Le Tombeau de la paix. Une histoire des édits de pacification (1560-1572), Presses universitaires de Limoges, 2015

    Diane Roussel est historienne, maîtresse de conférences en histoire moderne à l’Université Gustave Eiffel. Ses recherches portent sur l'histoire de la criminalité, la justice et la police aux 16-17e siècles et l’histoire de Paris.

    Publications :

    • Violences et passions dans le Paris de la Renaissance, Champ Vallon, 2012
    • Les Justices locales et les justiciables. La proximité judiciaire au Moyen Âge et à l’époque moderne, avec Marie Houllemare, Presse universitaires de Rennes, 2015

    Références sonores

    Archives et extraits de film :

    • L'historien Denis Crouzet, 15 avril 1998
    • Extrait du film La Reine Margot de Patrice Chéreau, 1994
    • Le journaliste Jacques Paugam, France Culture, 21 février 1980

    Lectures :

    • Extrait de "De la conscience", Essais , II, 5, de Michel de Montaigne, édition de 1580, lu par Raphaël Laloum
    • "Ô France désolée", Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné, publié en 1616, lu par Maria Casarès
    • Extrait de "La Saint-Barthélemy à Orléans" de Johann Wilhelm Botzheim, 1572, lu par Thomas Beau

    Musique :

    • Psaume 88 : "Seigneur, j'espars jour et nuit", par Sagittarius, album Psaumes français catholiques et huguenots, édité par ETCETERA KTC 1509
    • Générique : "Gendèr" par Makoto San, 2020
Illustration
Le Cours de l'histoire
Photographie
  • Christophe Abramowitz
Copyright
  • Radio France
Collection
Histoire du protestantisme, entre révolte et répression

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