Hôpital et charité, une histoire bien ordonnée commence par savoir qui va payer. C'est la sempiternelle question : comment soigner les plus démunis, celles et ceux qui n'ont pas assez d'argent pour faire appel à un médecin ? Hôtel-Dieu, Hôpital général, hospice, dispensaire… Qui pour financer ces établissements et avec quelle intention ?
La charité pour soigner les pauvres
Au 18e siècle, le secours aux plus démunis incombe à la charité qui existe depuis l’origine de l’Église. "Le modèle archétypique de la charité, c'est l'image de l'individu qui donne à un pauvre qu'il ne connaît pas, sans savoir ce que le pauvre va faire de son aumône, et sans mesurer la somme qu'il donne", précise Olivier Faure, professeur émérite à l’Université Jean Moulin Lyon 3, spécialiste d’histoire de la santé et de la protection sociale. L'historien ajoute que "la charité a tendance à s'organiser. Depuis le 12e ou 13e siècle, les dons – tels que se manifeste la charité – dons vont se concentrer en grande partie en direction des hôpitaux et hospices." Des individus mus par leur devoir de bon chrétien financent donc les hôpitaux afin qu’ils s’occupent des pauvres.
Le plus ancien hôpital est l’Hôtel-Dieu de Paris, construit dès le 7e siècle, et consacré à l’accueil des indigents. Pour passer la porte de l’hôpital, le critère central est la pauvreté avant même la maladie. À l’intérieur des salles, les patients sont alités, chauffés et bien nourris mais les soins médicaux restent moindres. L'historien Olivier Faure met en lumière l'apparition d'une catégorie, qui remonte au 16e siècle, celle des "mauvais pauvres" : "On imagine qu'il y a les bons pauvres, ceux que l'on connaît, qui habitent le quartier, qui sont honnêtes. Au contraire, il y aurait les mauvais pauvres, ceux qui ont été chassés des campagnes par les crises et qui affluent dans les villes pour demander des secours. C'est ainsi que naît une opinion très ancrée selon laquelle des pauvres le seraient par profit, par refus de travailler et qu'ils souhaiteraient vivre aux crochets de la société."
L'idée d'un droit à l'assistance
Ouverts avant tout aux ressortissants d’une même ville, les hôpitaux d’Ancien Régime sont inégalement répartis à l’échelle du royaume. Dans les espaces où il n’y a pas de donateurs, tels que les campagnes, les malades pauvres n’ont pas accès aux soins et se trouvent délaissés. Au moment de la Révolution française, les constituants substituent la bienfaisance publique à la charité chrétienne. Ils formulent pour la première fois l’idée d’un droit à l’assistance, mais il faut attendre un siècle pour qu’il apparaisse.
Des bureaux de bienfaisance sont alors créés, majoritairement dans les villes. "Ce sont des dispensaires, auxquels est parfois adossée une maison de secours, et dans lesquels les pauvres, malades mais pas seulement, peuvent venir chercher du pain, des bouillons, des draps, des meubles. Des consultations médicales et des vaccinations sont délivrées dans ces bureaux de bienfaisance, tout comme, par exemple, des jambes de bois", explique Claire Barillé, maîtresse de conférences à l’Université de Lille, spécialiste de l'histoire de l'hôpital. Ces lieux sont financés par les communes, les legs et les donations, même si l'historienne remarque que "les administrateurs de la première moitié du 19e siècle se plaignent de l'insuffisance des fonds accordés au bureau de bienfaisance."
Au 19e siècle, l’hôpital au secours du plus grand nombre
Le droit à l’assistance se réaffirme à plusieurs reprises au cours du 19e siècle. Avec l’industrialisation, les pouvoirs publics se rendent compte que les classes populaires s’abîment par le travail et qu’il faut donc les préserver. En 1849, l’Assistance publique est créée afin de gérer l’ensemble des hôpitaux et bureaux de bienfaisance. Face à l’augmentation du nombre de malades, les hôpitaux augmentent leur nombre de couchettes et les soins médicaux progressent. À présent, la maladie et l’urgence du soin deviennent les critères principaux pour entrer à l’hôpital. L’institution hospitalière s’adresse avant tout aux classes populaires tandis que la classe aisée profite de la médecine à domicile. Bien que les jeunes hommes célibataires soient les plus représentés, les femmes ont elles aussi de plus en plus recours à la prise en charge hospitalière. Ce progressif accès aux soins médicaux s’observe aussi à l’échelle des campagnes. Depuis le début du siècle, les officiers de santé sont chargés de soigner les malades en se déplaçant directement dans le village.
En 1893, l’assistance médicale devient obligatoire
L’avènement de la Troisième République marque un tournant dans l’assistance aux pauvres. La loi de 1893 fait de l’assistance médicale une obligation gratuite pour les communes, les départements et l’État. De fait, tout Français ou Française sans ressource a accès aux soins à domicile ou à l’hôpital. À présent, ce sont les pouvoirs publics, et non des acteurs privés, qui organisent le système de santé. En 1905, une loi d’assistance obligatoire prend en charge les vieillards, les infirmes et les incurables. Tandis qu’en 1913, deux nouvelles lois concernent les femmes en couches et les familles nombreuses. Si un véritable droit à l’assistance est enfin né, il reste néanmoins limité à une minorité souffrante et s’avère inégalement réparti à l’échelle du territoire. En 1914, seulement 5 % de la population est inscrit sur les listes d'assistance.
Pour en savoir plus
Claire Barillé est historienne, maîtresse de conférences à l’Université de Lille et membre du laboratoire IRHIS (Institut de recherches historiques du Septentrion). Elle est spécialiste de l'histoire de l'hôpital.
Publication :
- Les Maux et les Soins. Médecins et malades dans les hôpitaux parisiens au XIXe siècle, codirigé avec Francis Démier, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2007
Olivier Faure est historien, professeur émérite à l’Université Jean Moulin Lyon 3 et membre du laboratoire LARHRA (Laboratoire de Recherche historique en Rhône-Alpes). Il est spécialiste d’histoire de la santé et de la protection sociale.
Publications :
- Plaidoyer pour une histoire sociale, Sorbonne Université Presses, 2024
- Contre les déserts médicaux : les officiers de santé en France dans le premier XIXe siècle, Presses universitaires François Rabelais, 2020
- Aux marges de la médecine. Santé et souci de soi. France XIXe siècle, Presses universitaires de Provence, 2015
Exposition citée dans l'émission : "Aux sources de la psychiatrie, la Maison de Charenton. 1641-1920". Entrée libre du 18 octobre 2024 au 27 juin 2025 aux Archives départementales du Val-de-Marne à Créteil.
Références sonores
Archives :
- Yvan Christ, journaliste et historien, spécialiste de l'histoire architecturale, RTF, 1958
- Évocation de l'Hôtel-Dieu de Lyon, RTF, 9 juillet 1952
- Les sœurs de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul
- Le philosophe Michel Foucault, RTF, 12 décembre 1961
- Jean Imbert de l'Académie des Sciences morales et politiques, France Culture, 30 septembre 1994
Lecture :
- Loi du 15 juillet 1893 lue par Gillian Tilly
Musique :
- Générique : "Gendèr" par Makoto San, 2020