Révélé par les frères Dardenne en 1996 dans La Promesse, Olivier Gourmet tourne à nouveau avec eux dans la Palme d’or Rosetta, puis dans Le Fils qui lui vaut le prix d'interprétation masculine au festival de Cannes, et dans bien d’autres films depuis. Rien pourtant dans son milieu d’origine n’avait prédisposé au spectacle celui qu’on appelle parfois le "troisième frère". Enfant d’agriculteurs, c’est à l’internat que le futur comédien découvre la joie de faire le pitre et d’amuser un public, avant de se former au métier sur les bancs du Conservatoire Royal de Liège dont il sort avec un premier prix. Le théâtre, sa première scène, cède bien vite sa place au cinéma, où il excelle depuis, au service des plus grands réalisateurs qui les confient des rôles forts, souvent troubles et empreints d’une gravité tragique. À l’affiche du film Les tortues réalisé par David Lambert, Olivier Gourmet retrace son parcours et nous dévoile sa méthode travail, celle qui lui permet d’habiter si singulièrement les gestes et émotions de ses personnages.
Faire rire, créer du lien
Enfant d'agriculteurs, sa seule culture est le travail. Chez lui, on ne regarde pas la télé - il n'y en a pas -, on n'écoute jamais la radio. Niveau musique, théâtre, cinéma : zéro. Intéressé par les balades à vélo, le foot et les copains, c'est par timidité qu'il découvre le plaisir du jeu. En faisant rire ses camarades, il cherche à tuer le temps, à exister.
"Et puis il y a eu cette erreur dans ma vie de commencer, par timidité, à faire rire mes camarades de classes et cette envie peut-être un jour d'être comédien sans rien y connaitre. Comédien, c'était d'abord clown. [...] et puis après, il y a eu cette découverte merveilleuse de l'outil théâtral, l'outil cinéma, par rapport à un public et la puissance que ça peut ou devrait avoir. [...] Jusqu'à 11 ans, 12 ans ça se passe bien, pas de soucis, mais je me retrouve dans un collège avec beaucoup plus de gens donc [...] préadolescent, c'est différent, l'abord social vis-à-vis des autres. Je suis handicapé parce que pas habitué. Il faut re-exister dans un autre univers. Vous vous rendez compte aussi que ce qui se passe en classe, c'est pas vraiment votre truc, mais comme vous avez été brillant en primaire, vos parents vous ont inscrit en latin, en grec. Au fur et à mesure des années, vous vous rendez compte que vous subissez plus que vous n'aimez. Donc, il y avait ce désir de faire rire mes camarades en classe, pour tuer le temps, pour exister, pour créer un lien social."
Jouer, faire résonner les mots
Olivier Gourmet, celui qui sut faire rire toute une assemblée en ne prononçant qu'un mot, commence à s'imaginer comédien au grand désespoir de son père. Il y a d'abord l'atelier de théâtre avec des comédiens du Théâtre National de Belgique, où il décroche un prix. Ensuite, pour rassurer son père, des études de biologie vite abandonnées pour filer au conservatoire de Liège. Au bout de trois mois, pourtant, le jeune Olivier Gourmet compte déjà s'en échapper... Mais il est rattrapé par les mots d'un professeur : Philippe Laurent.
"Je pars, car encore une fois le changement ; celui de se retrouver dans un monde que je connais pas dans lequel je ne me reconnais pas. Je trouvais qu'il y avait une certaine prétention du genre arstiteux : 'je suis artiste, je suis exceptionnel.' Je me retrouvais pas là-dedans. Ça manquait de simplicité, de la ludicité primaire, du jeu d'acteur. Voilà, jouer. Sans se prendre la tête. Je me dis ce n'est pas mon monde, donc je quitte. Et puis… l'histoire concrète, c'est que je suis déjà avec ma future épouse. Donc, je rentre à Liège de temps en temps tout en décidant de peut-être reprendre la ferme de mon père. Je me retrouve dans une soirée et je retrouve un camarade du conservatoire qui me dit 'mais pourquoi tu es parti ? Philippe Laurent avec qui on a cours trouve ça dommage, il a trouvé que tu avais beaucoup de talent et qu'il faut persévérer.' Alors… J'y suis retourné. Lui m'a apporté énormément de chose, Philippe Laurent. Il a déterminé ce que je suis aujourd'hui dans ma vision du théâtre, du cinéma, du jeu de l'acteur. Il a été mon ABC, il m'a aiguillé. [...] C'est invraisemblable ce qu'il a pu être déterminant. Il y a eu un déclic. [...] C'est Philippe Laurent qui m'a ouvert les yeux et qui m'a appris énormément de choses sur le respect de l'auteur, qu'est-ce qu'un auteur, monter sur scène - c'était pour lui un acte sacré de délivrer une parole par rapport à un auteur. De sensibiliser le spectateur à une histoire. De sensibiliser, d'interpeller la société. Le conservateur de Liège était très axé là-dessus : où est le monde aujourd'hui ? Qu'en fait-on ? C'était la priorité. La performance de l'acteur, ce n'était pas le but ni le sujet. C'était d'abord de faire passer le texte. Dire les mots et qu'ils résonnent dans la tête du spectateur."
Des portraits sans empathie pour les frères Dardenne
En seulement deux ans au Conservatoire Royal de Liège, il obtient un premier prix. Il a pour projet de rejoindre l'école des Amandiers de Patrice Chéreau, en passant un moment aux cours Florent. Manque de chance, Chéreau ferme l'école. Il le retrouvera plus tard, dans Ceux qui m'aiment prendront le train. En attendant, il rattrape le temps perdu : va au théâtre, regarde des films, découvre les acteurs de studios comme de Niro auprès desquels il apprend à incarner. Pendant dix ans, en Belgique, il enchaine les pièces de théâtre. Et puis, une rencontre, par hasard, avec Jean-Pierre Dardenne. Avec son frère, Luc, ils débutent, n'ont tourné que deux films. La Promesse, sorti en 1996, est le début d'une longue collaboration entre Olivier Gourmet et les frères cinéastes : huit films dont deux ont reçu la Palme d'Or et un, Le Fils, qui vaudra à l'acteur le prix d'interprétation à Cannes.
"Chaque personnage principal chez eux est de fait, quelque part, un portrait, avec des chemins qui prennent des détours pour une finalité, mais avec une errance où il y a une forme de suspense : 'Qu'est-ce qui peut arriver ? Qu'est-ce qui va arriver ?' Et une interrogation au spectateur qui se dit 'comment je réagirais moi, si j'étais dans cette situation ?' À la fois, c'est un portrait, mais c'est un portrait sans empathie. [...] Ça revient à ce que je disais à mes premiers abords de cinéma, sur d'abord le texte et d'abord sensibiliser le spectateur. Le spectateur ne doit pas tomber en empathie avec le personnage, parce que sinon c'est partie gagnée sur le propos. Donc c'est un portrait un peu particulier avec les frères Dardenne. Je me souviens d'une scène, dans Le Fils. Mon épouse vient m'apprendre qu'elle est enceinte, puisqu'on s'est séparés pour des raisons, par rapport à un drame, la perte d'un enfant. [...] Et ça se passait dans une cuisine, et par accident, sans le faire exprès, vous vous laissez gagner par l'émotion. J'étais, à ce moment-là, en train de me faire une soupe en sachet, je ne sais plus exactement. Je devais me verser de l'eau, allumer le gaz, et je n'arrivais pas à allumer le gaz, ça prenait du temps, les choses m'échappaient, et l'équipe riait. C'était émouvant et drôle. Pour moi, elle était parfaite, la scène. Je n'ai peut-être jamais été aussi juste et sincère dans une scène. Et ils ne l'ont pas montée parce que le spectateur risquait de tomber en empathie avec le personnage. Voilà, les frères Dardenne : le propos, le propos, le propos."
Jouer pour conscientiser
Aujourd'hui, il est à l'affiche de Les Tortues, film de David Lambert dans lequel il joue un homme dont le couple avec son partenaire bat de l'aile. Une comédie sur l'usure de l'amour, qui n'épargne pas les couples homosexuels. Pour Olivier Gourmet, il y avait une volonté de normaliser la représentation du couple homosexuel d'âge mûr au cinéma.
"Si ça touche une personne, si ça change l'opinion d'une seule personne, le film est politique. Il n'a pas été fait pour rien. Il n'y a pas besoin de plus, enfin si, comme dit Vincent Lindon, deux c'est mieux, trois c'est encore mieux, Et un grand nombre, c'est magique. Mais une seule personne et le but est rempli, quelque part. Parce que, voilà, il faut être patient. Sur l'échelle du temps, on est encore une jeune société. On a encore beaucoup de choses à apprendre. Et on n'apprend pas du passé. Peut-être qu'on apprendra différemment dans l'avenir. Je l'espère. Et cet outil du théâtre ou du cinéma est magique pour toucher un public. Il ne faut pas le lâcher. C'est un peu plus difficile aujourd'hui de financer certains films, malheureusement. Mais il ne faut pas lâcher. Il faut continuer. Même si, évidemment, il y a besoin de divertissement : les gens, en sortant du boulot, ont aussi besoin de se changer les idées. Mais il faut aussi garder cette part essentielle qui est de conscientiser."
Les sons de l'émission
- Extrait de Taxi Driver, de Martin Scorsese, avec Robert de Niro
- Archive des Frères Dardenne, reçus dans Plan Large, sur France Culture, en 2017
- Vincent Lindon dans Affaires Culturelles en mars 2024
- Le choix musical de l'invité : Un monde nouveau de Feu ! Chatterton, 2021, Label Caroline
- Michel Piccoli, émission Les feux de la rampe, France Inter, 1973
Plus d'informations sur son actualité :
- Le film Les Tortues, réalisé par David Lambert, avec Olivier Gourmet et Dave Johns, sort en salles le 15 mai.
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