Présentation du livre par Rebecca Manzoni
C'est le 20ᵉ roman de Marie Darrieussecq, et pour tenir la promesse de ce titre, l’écrivaine met en scène non pas une, mais deux femmes déjà présentes dans des livres précédents. On retrouve donc Rose et Solange, deux meilleures amies qu'on suit depuis leurs quinze ans jusqu'à l'âge adulte. Rose est une fille studieuse, sage, qui tiendra essentiellement à Christian, son amour de jeunesse. En face de chez elle, et en miroir, Solange fait figure de rebelle. Elle est enceinte à quinze ans, découvre le théâtre la nuit à Bordeaux, Londres et Paris. Et pour chacune, c'est la découverte de la sexualité, de l'amour d'un métier et finalement de la liberté qu'on s'accorde ou pas. C'est un roman d'apprentissage, autant que le portrait d'une époque et d'une génération qui a vécu son entrée dans l'âge adulte au tournant des années 1980 et 1990, avec, entre autres, la chute du mur de Berlin et la trouille du sida. Il y a aussi beaucoup de musique dans ce livre et des tubes de l'époque chantés par Lio, Les Rita Mitsouko ou encore Nirvana.
Nelly Kaprielian a adoré ce roman d’une maîtrise incroyable
La journaliste des Inrockuptibles a beaucoup apprécié cette plongée dans le Paris des années 1980 : « J’ai le même âge que Marie Darrieussecq et ça m’a rappelé énormément de choses sur le fait d’avoir 20 ans dans les années 1980. Il y a beaucoup de justesse. On va aux Bains Douches, et on pense que c’est possible de coucher avec Prince. II y a une proximité, une fraîcheur et on voit aussi tous les dangers dans lesquels ces deux filles peuvent tomber. Il y a aussi la découverte du sexe qui, du point de vue des filles, est très drôle, il y a vraiment une maîtrise incroyable. »
Nelly Kaprielian a aussi aimé une forme de gravité et de mélancolie : « Une des héroïnes va avoir un enfant très tôt, à quinze ans au début du livre. Je suis fasciné par le film Mulholland Drive, et ici aussi, il y a cette dualité, ce double portrait de femme qui se reflète l'une dans l'autre. Pour moi, ce sont les deux aspects de Marie Darrieussecq dont elle fait ici le double portrait. À la fois quelqu'un de très sérieux, qui a fait des études, qui s'est marié, qui a eu des enfants assez tôt, et quelqu'un qui aime aussi la fête, la séduction. » La journaliste des Inrockuptibles met malgré tout quelques petites réserves, notamment sur certains passages trop clichés comme sur la carrière hollywoodienne de Solange, invraisemblable selon elle.
Arnaud Viviant a eu un grand plaisir de lecture
Le critique Arnaud Viviant a trouvé que les 50 premières pages rappelaient Clèves, l’un des précédents romans de Marie Darrieussecq : « Elle y racontait déjà la fabrication d’une femme, mais le personnage principal dans Clèves, c’était plutôt Solange et dans celui-ci, c’est plutôt Rose, qui est l’auteure, puisque comme elle, elle a fait des études de psychanalyse, c’est d’ailleurs un passage qui m’a beaucoup plu. Mais il faut se souvenir que Clèves est paru en 2012, et qu’à l’époque, il avait choqué par son vocabulaire. Il y a aussi des personnages comme Brice, qui sont très bien faits. Mais comme pour Nelly, à la lecture de la fin hollywoodienne, on sent comme une envie d’en finir avec le roman, mais j’ai tout de même eu un grand plaisir à lire ce roman. »
Laurent Chalumeau a dévoré ce livre d’une maîtrise technique totale
Pour Laurent Chalumeau, c’est un livre qu’il aurait forcément lu même sans sa participation à l’émission : « C’est le premier livre de Marie Darrieussecq que je lisais de ma vie, et je comprends maintenant que si j'avais mieux connu son œuvre, j'aurais peut-être pris encore plus la mesure des qualités que ce livre semble afficher. C’est un très bon livre que j’ai descendu en 48 heures, c'est une piste verte, car la prose de Darrieussecq est d'une totale fluidité. Il n’y a pas de grumeaux, l'œil n'accroche sur rien, on est happé. Les morceaux de bravoure technique abondent. Il y a des scènes dont elle tire tout le profit, tantôt comique, parfois tragique, c'est de la tambouille, de la technique. Elle est vraiment en maîtrise totale de son artisanat. Il y a un peu de phrases métalliques à la Houellebecq, un peu d'écriture plate à la Ernaux, un peu de néo-naturalisme à la Nicolas Mathieu sans que ça fasse Frankenstein. En fonction du terrain, elle adapte, et parfois à l'intérieur du même paragraphe. C’est une musique entêtante et très efficace. »
Pour Élisabeth Philippe, c’est son livre préféré de Marie Darrieusecq
Pour Élisabeth Philippe, c’est son roman préféré de l’auteure. Elle a particulièrement aimé ce style en évolution permanente : « Dans la partie sur Solange, le style est plus heurté, comme pour marquer la violence qui marque la vie de la protagoniste. Pour moi, Marie Darrieussecq est comme un maître horloger qui va démonter le mécanisme, qui va déconstruire son personnage pour montrer comment on devient femme. Elle montre très bien que c'est un mélange de choix et de déterminisme social, car la question des classes sociales est aussi très importante. Marie Darrieussecq passe toujours par la littérature et le corps de ses personnages. J’ai beaucoup pensé aux Mémoires d'Eugène Mariotte de Balzac, qui est son roman épistolaire où l’on suit deux jeunes mariés et leurs trajectoires. On pense qu'elle fait un beau mariage et ça va être la calamité. Et puis ce que dit Marie sur l'adolescence, c'est prodigieux. »
"Fabriquer une femme" de Marie Darrieussecq chez P.O.L
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