L'écrivaine et ancienne psychiatre Lydie Salvayre publie au Seuil Depuis toujours, nous aimons les dimanches, satire drolatique, enlevée et rythmée, pleine de fureur et d'effroi contre ceux qu'elle nomme « les apologistes du travail des autres », soit les puissants exploitant la sueur des laborieux. Les laborieux, ce sont ceux qui travaillent toujours plus sans jouir du fruit de leur besogne, sans pouvoir penser, contempler, rêver ou créer, c'est-à-dire la majorité de l'humanité. Dans la lignée du Droit à la paresse, le manifeste social de Paul Lafargue paru en 1880, ou encore de L'éloge de l'oisiveté de Bertrand Russell paru en 1932, Lydie Salvayre démontre l'absurdité d'une vie dédiée à un volume de travail excessif et invite à reprendre le pouvoir autant sur sa psychè que sur son agenda.
Lydie Salvayre l’indocile
Même si elle appelle à travailler moins, et rêve dans les trains, Lydie Salvayre se rebelle : « J'ai de la colère pour certains sujets qui me révoltent, qui me rendent indocile, paraît-il. Enfant, j’étais docile. Et même aujourd'hui, il y a des choses contre lesquelles, on ne peut qu'être docile. Mais il y a en moi quand même quelque chose qui crie, qui trépigne du côté de l'indocilité. »
Le travail, lieu de souffrance
Son passé de psy aide Lydie Salvayre dans son travail littéraire : « Le travail a des incidences sur la psyché humaine. Il peut conduire alors à la dépression, peut nous abattre. Il paraît qu'il fait du bien à certains, à ceux qui l’ont choisi, quand il est créatif, quand il contient de l’initiative personnelle. Mais je pense à tous ceux pour qui le travail est une contrainte, une fatigue, un épuisement, pire une indignité.»
Terrorisée par l’esprit de sérieux
Dire les choses avec humour. Lydie Salvayre : « L’esprit de sérieux me fait très peur. J'aime les lectures dans lesquelles sont dénoncées joyeusement des choses graves. Je suis saisie de violent amour pour les satiristes comme Swift au 17ᵉ siècle, Chamfort, avant les Morales et moraliste Voltaire, récemment Ambrose Bierce… Il existe toute une lignée de satiristes qui disent en trois mots ce que les autres disent en cent. Ils parient sur l'humour pour dénoncer les travers de la société et les faiblesses humaines. Il manque aujourd’hui ces voix indociles, qui secouent, ces voix, qui sont tout sauf passives. »
La valeur travail
Si d’après Albert Camus, « Il n’y a pas de honte à préférer le bonheur », pourquoi glorifie-t-on la peine ? Pour Lydie Salvayre, il s’agit d’un préjugé « L’auteur de l’Éloge de l’oisiveté, Bertrand Russell nous l’explique très bien. Les classes bourgeoises veulent qu'on fasse l'éloge du travail parce que ça leur rapporte 1000 avantages. Les non-travailleurs, sont jugés paresseux. La bourgeoisie pronostiquait même que si les travailleurs ne travaillaient pas, ils sombreraient dans l'alcoolisme et la déchéance. Dès les années 1930 Bertrand Russell s'insurge contre cette morale obligatoire du travail.
Depuis la crise sanitaire surtout, un grand nombre de gens reconsidèrent leur vie, et leur à l'occasion du confinement : Est-ce que le travail me satisfait ? Est-ce qu'il me laisse le temps de vivre ? Est-ce que les horaires auxquels il m'astreint sont supportables ? Est-ce qu'il a un sens ? Est-ce qu'il me laisse un peu d'initiative ou pas du tout ? Ces questions se sont exprimées dans des livres, des témoignages, qui ont fait l'objet de recherches en sciences sociales. J'ai trouvé sidérante la surdité des décideurs politiques et du gouvernement. »
Une dent contre la famille
Lydie Salvayre : « Même si on idéalise l’enfance, j'ai encore aujourd'hui le souvenir délicieux de ces moments passés au lit, malade, qui me soustrait à l'école et où je lisais Sans famille et autres romans délicieux. Dans le roman d’Hector Malot, Rémi, le héros, n’a pas de parents. J’ai une dent contre la famille qui emprisonne, qui enferme, et nous oblige à des rites. J'ai constaté lorsque j'étais pédopsychiatre, que c’était le premier endroit de l'aliénation. J'ai vu tous ses dégâts. Mais d'autres diront tous les bonheurs qu’apporte la famille. Et bien sûr qu'il y a. Je serais stupide de dire que la famille n'apporte que des chagrins et des malheurs. »
La suite est à écouter...
Programmation musicale :
Lana Del Rey, Blue skies
Voyou et Vanessa Paradis, Le Bal
Le choix musical de l'invitée : Chloé Delaume, RTT à Trastevere
La découverte de l'invitée :
Le dictionnaire du Diable d'Ambrose Bierce (Rivages Poche)