Ce qui est sûr, c’est que la rupture brutale de croissance a donné un nouvel élan aux discours anti-productivistes. Sur fond de transition écologique, la décroissance est même devenue un champ de bataille politique dont le débat sur la 5G n’est qu’un des points d’affrontement :
Des collectifs mêlant les écologistes et leurs alliés aux grandes ONG multiplient les appels à limiter l’activité de certains secteurs, pour respecter les engagements climatiques.
Dernier épisode : la « bataille de l’avion vert », emblématique. L’aviation civile, au premier rang du banc des accusés pollueurs, est aussi en première ligne de l’innovation verte ; et alors qu’Airbus dévoilait hier ses trois projets d’avion de ligne à hydrogène, une nouvelle tribune dans Libération raille ce « Graal qui est un mythe », et appelle à « diminuer drastiquement le trafic aérien », par régulations et taxes : coup de massue verbal sur un secteur groggy… Cette fois, c’est le Secrétaire d’Etat aux Transports JB Djebbari qui s’emportait hier sur LCI contre les « thuriféraires de la décroissance ».
**Le discours de la décroissance : aussi tôt ravivé, aussi tôt disqualifié ? **
Il y a des arguments écologiques sérieux, ne serait-ce qu’à cause du décalage entre les objectifs de l’accord de Paris et les prévisions d’émissions : à elle seule l’aviation fait décrocher la trajectoire de réduction des émissions de CO2.
Mais l’anti-productivisme radical reste plutôt flou sur les modalités d’une rupture écologique sans transition : il « ne dit pas qui se prive et qui disparaît », explique le directeur de l’OFCE Xavier Timbaud qui dans Alternatives Economiques s’en prend aux collapsologues et théoriciens de l’effondrement. Pour lui, « la question n’est pas de choisir entre la croissance et la décroissance », mais entre deux types de sociétés : aller vers des sociétés « simplifiées » où l’on réduirait nos besoins – abandon de la croissance, ou au contraire, partir des « sociétés complexes » actuelles pour être capable réintroduire « une certaine forme de sobriété ».
« Croissance et décroissance sélective », lance aussi Nicolas Hulot, où certains actifs industriels seraient considérés comme des actifs toxiques.
**Promettre un accroissement du bien être sans celui des richesses produites ou consommées : l’équation de la décroissance a-t-elle une solution ? **
C’est l’équation de l’économiste japonais Kaya, qui décompose en quatre facteurs les émissions de CO2 ; le problème est que deux d’entre eux sont humains : la richesse par tête et… le nombre de têtes : de quoi rebuter aussi les meilleures volontés scientifiques.
Quant au lexique « décroissantiste », il est riche d’expressions paradoxales parfois élégantes (« Simplicité volontaire », « Abondance frugale ») mais peu opérantes sur le plan économique et qui font planer un relent d’ascétisme douteux sur nos sociétés de jouissance… C’est l’ombre d’Ivan Illich.
Pourtant, la défiance et le temps des « énergumènes médiatiques est passé », détaille Florence Vairet dans Les Echos : le mouvement « décroissantiste » s’appuie désormais sur des Think Tanks, des universités, des ouvrages à succès.
**L'économie de la décroissance, thème de recherches académiques **
Pour les économistes, l’idée n’est pas de supprimer les marchés mais de leur donner de nouvelles règles : Taxes sur la pollution, allocation universelle, plafonnement des revenus ; et une constante : la réduction du temps de travail, seul moyen d’éviter le chômage si l’on ramène la production aux niveaux d’il y a 40 ans.
Les travaux portent aussi sur le rôle des entreprises et la résolution d’un écueil méthodologique majeur : comment tenir compte des éléments de changement non statistiques, du marchand vers le domestique (quand je cultive mon potager), échanges non monétaires, économie de la réciprocité ?
Au fond, une grande partie de la réflexion sur la décroissance tourne autour de la place de l’industrie dans nos sociétés de consommation standardisées, et sur notre liberté de choix face à elles. D’où le fait qu’une partie de l’économie de la décroissance soit aussi la recherche d’une efficacité non-industrielle : amélioration de la « qualité de vie » et la « quête de sens ».
A défaut, il reste toujours la prière. Une partie de l’écologie politique qui n’est pas la moins riche se réfère à la théologie catholique. L'une de ses figures est Saint François d’Assise qui dans son Cantique des Créatures de l’hiver 1224, loue ainsi son Seigneur avec toutes ses créatures : parmi lesquelles Messire Frère Soleil, Sœur Lune, Frère Vent, Sœur Eau et Sœur notre mère la Terre. L'appel est lancé…