La paternité, avant d'être un lien affectif, dépend d'une reconnaissance juridique qui, comme le montrent ces trois témoignages, n'est pas toujours si simple à obtenir.
- Camille a 21 ans et travaille depuis deux ans dans une crèche à Chantepie, en région rennaise. Elle a été adoptée à la naissance. Venue de Tahiti, elle arrive en France alors qu’elle n’a que 15 jours. Elle grandit seule avec sa mère et dit avoir besoin d’un père pour sa fille.
Obedoula, surnommé Obed, a 20 ans. Arrivé d’Afghanistan en 2016, il est envoyé à Rennes après un court passage par Paris. Depuis quatre ans qu’il demande ses papiers qu’il n’a toujours pas, il a obtenu un diplôme de maçon mais est dans l’impossibilité légale d’exercer en raison de sa situation administrative.
Camille et Obedoula se sont rencontrés par des amis communs et se sont mis ensemble fin 2017. Camille dit avoir été séduite par sa gentillesse et son humour qui l’ont aidée à se remettre de violences conjugales qu’elle avait subi dans une précédente relation. Quelques mois après le début de leur histoire d'amour, elle tombe enceinte. Obedoula s’investit dans la préparation de l'arrivée de l'enfant.
Camille accouche le 28 mars 2020, pendant le coronavirus alors qu’ils anticipent déjà la reconnaissance de Mina depuis deux mois. En dépit d’un récépissé de demande d’asile, un père ne peut plus reconnaître son enfant sans titre de séjour, pour prévenir de supposées fraudes.
Je veux que ma fille ait un papa dans sa vie. Ça me rend triste. Pour l’instant ma fille n’a pas de papa. Je suis son père, mais elle ne peut pas avoir mon nom. Obedoula
Les deux parents tentent d'avoir recours à un test A.D.N mais la loi stipule qu'un test ne peut être effectué que sur décision d’un juge et, selon leur avocate, les délais s’annoncent long.
On est toujours tous les trois. On voulait fonder notre famille à nous et c’est comme si j’hébergeais un homme qui n’a aucun lien avec nous, alors que c’est le papa et c’est celui qui vit avec moi. Camille
- Corentin a 22 ans et habite à La Baule en Loire Atlantique. Il est né d’une histoire d’amour entre sa mère et un homme marié. L'homme en question, père de deux filles, a laissé imaginer pendant la grossesse qu’il allait reconnaître l'enfant avant de disparaître à la naissance.
La mère de Corentin, par ailleurs victime d’anorexie mentale, se retrouve alors à élever son fils seule. Malgré les sollicitations, le père biologique rejette son fils.
Il a balancé les couches et a dit à ma mère "Maintenant tu gardes ton fils !". Corentin
N'étant pas en moyen d'élever son enfant, la mère de Corentin le confie à ses grands-parents puis à la DASS.
J’avais deux ans et je faisais la sieste quand la gendarmerie est venue me chercher. A ce moment-là, j’étais perdu. Corentin
Il passe d'abord onze heureuses années dans une famille d’accueil de fermiers avant, à l’adolescence, souffrant de l’absence de son père, de faire plusieurs tentatives de suicide.
Ces hommes-là ruinent nos vies et puis ils partent comme ça. Des hommes qui ne réfléchissent pas avant de faire un enfant et ne vont jamais se demander comment il va. Corentin
Il sait tout de son père dont sa mère ne lui a jamais rien caché. A 18 ans, titulaire du permis de conduire, il décide d’aller le rencontrer en voiture à son entreprise. Une fois de plus, il est violemment rejeté.
Majeur, il est renvoyé par l'Aide Sociale à l'Enfance chez sa mère, qui est devenue dépressive et dépendante au cannabis. Au bout de quatre mois, elle le met à la rue.
Récemment, il rencontre Richard sur les réseaux sociaux, un homme qui l’héberge et l’aide à prendre sa vie en main. Corentin trouve un travail dans un restaurant et entreprend avec l’aide d’une avocate de contraindre son père à faire un test ADN
J’espère que si les analyses concordent je pourrai au moins faire noël avec lui, j’ai besoin de mon père. Je ne peux pas vivre sans lui. Il ne peut pas me renier toute sa vie, c’est pas possible. Corentin
- Notre troisième témoignage est celui d'un homme de bientôt 60 ans. Il se dit père de deux enfants et gère un groupe d’entreprises entre la France, l’Allemagne et d’autres pays européens. A 42 ans, il divorce au bout de 17 ans de mariage. Il avait une amante, en couple, qu’il retrouvait lors de ses voyages, à Munich. Un jour, elle lui annonce être tombée enceinte lors d'une de leurs rencontres et lui témoigne son intention de garder l’enfant.
_Je lui ai dit, "Si tu veux le garder, vas-y ! Mais fous moi la paix". J'ai senti tout de suite que ce n'était pas un accident. _
Dans les années qui suivent la naissance, il reçoit un papier recommandé, lui demandant de reconnaître l’enfant et une demande de test de paternité. Il refuse ces deux demandes. Le tribunal allemand le condamne.
Dans le cadre de ce qu’il nomme un combat contre ce qu’il estime une tricherie, il porte, à titre symbolique, une plainte en France pour un motif inédit : celui de paternité forcée. Il évoque le jour où cette jeune fille, aujourd'hui âgée de 12 ans, viendra le trouver.
_Elle n’y est pour rien mais je n’ai aucun sentiment pour cet enfant, elle est le choix de sa mère. _
- Reportage : Emilie Chaudet
- Réalisation : Anne-Laure Chanel
Merci à Obedoula, Camille et sa mère, Mina, Corentin, Michel, Maître Mary Plard et les membres de l'association "Même pas pères".
Chanson de fin : " The Beast " par Techo Teardo - Album : Nerissimo - Label : Specula
Pour en savoir plus: Le livre de Mary Plard, avocate de la famille, qui travaille régulièrement sur des Paternités imposées.