Les entités terrestres n'ont pas de capacité de langage, elles ne peuvent témoigner de leur volonté, défendre leur droit, alors même que des multinationales ou des collectivités territoriales sont des entités juridiques certes abstraites, mais efficaces pour défendre leurs intérêts, y compris lorsqu’elles détruisent l’environnement et les ressources vivrières des peuples. C’est pourquoi, l'auteure Marielle Macé suggère dans le sillage du chercheur Silver Stone : “d’élargir la scène juridique à d'autres acteurs en prenant nos responsabilités d'humain pour trouver des manières de représenter ceux qui ne peuvent pas prendre la parole sur le modèle de la tutelle ou de la représentation de mineurs, ou de bébés, par exemple, en essayant de construire un droit qui élargit les responsabilités de la communauté humaine à son environnement”.
La juriste Valérie Cabanes donne en exemple ce qui se passe en Equateur : “Là-bas, tout le monde peut représenter la nature, d'autant plus qu’il est intimement reconnu que l'humain fait partie de la nature et que donc, on a tous un intérêt à agir pour la protéger. Une personne peut le faire ; une communauté autochtone peut le faire en lien avec ses liens ancestraux par rapport à un territoire ; une association de protection de l'environnement ; Mais au-delà, même le ministère public en Équateur, et c'est souvent lui d'ailleurs, peut défendre un écosystème en justice.”
Sur les bords de Loire, des habitants et chercheurs imaginent une institution potentielle donnant voix à l’écosystème fluvial. Il s’agit d’impliquer dans un parlement reconfiguré la faune, la flore, les bancs de sable et l’ensemble des composantes de la Loire. L’anthropologue Barbara Glowczewski explique en évoquant ce parlement : “Il ne s’agit pas de représenter la Loire en trouvant des gens qui interprètent ce qu’elle aurait à dire, mais ce serait arriver à faire vivre un collectif d'humains et non l'humain qui s'exprime sensiblement sur ce que la Loire, en tant que fleuve, nous dit déjà car la Loire parle. Elle parle par son tracé et elle parle par les traces qu'elle laisse.”
Comment représenter un élément non-humain, comment parler pour ou parler depuis le fleuve ? Qui seraient les gardiens de l’écosystème ? Nous sommes dans la nécessité de restaurer avec le monde vivant une relation équitable et non-prédatrice et ce saut imaginatif nous rapproche des pensées holistiques, animistes partagées par les peuples autochtones. Valérie Cabanes rappelle en ce sens : “La Loire n'est pas juste de l'eau qui court. Loire, ce sont des bancs de sable, des poissons, des bactéries, des algues, des pêcheurs, des oiseaux, des riverains, les usagers du fleuve et tous ceux qui en dépendent pour vivre. Et donc, c'est plus que de se sentir grain de sable, c'est se sentir faire partie d'une symphonie et d'être une note au sein de la symphonie du vivant, d'accepter de jouer sa partition, mais en laissant chaque note jouer la sienne avec humilité et avec confiance.”
Un documentaire de Nedjma Bouakra, réalisé par Thomas Dutter.
Avec :
David Gé Bartoli, auteur et philosophe.
Philippe Boisneau, pêcheur professionnel, docteur es sciences.
Barbara Glowczewski, anthropologue, directrice de recherche au CNRS
Catherine Fumet, habitante, coordinatrice régionale de Sortir du Nucléaire
Bruno Marmiroli, directeur de la mission Val de Loire
Camille de Toledo, auteur
Virginie Serna, conservatrice en chef du patrimoine, archéologue médiéviste et des fonds fluviaux
Lolita Voisin, paysagiste, enseignante-chercheuse
Liens
- Should Trees Have Standing ? Toward Legal Rights for Natural Objects : étude de Christopher Stone, publié dans Southern California Law Review, n°45, 1972.
- L’Equateur, pays pionnier du mouvement pour les droits de la Nature ? Article publié en décembre 2019 sur le site du think tank francophone Mr Mondialisation.
- Extraits de la revue de presse des Auditions du Parlement de Loire, janvier 2021, en ligne sur le site du Polau-pôle arts & urbanisme.
- Pierre Brunet : L’écologie des juges. La personnalité juridique des entités naturelles (Nouvelle-Zélande, Inde et Colombie). Extrait du livre de Marie-Anne Cohendet (dir.) : Droit constitutionnel de l’environnement ; regards croisés, éd. Mare et Martin, 2021.
- Donner des droits à la nature : une idée qui fait son chemin. Article à lire dans le Quotidien de l’écologie, Reporterre, février 2021.
- Déclaration des droits du fleuve Tavignanu du 29 juillet 2021, publiée par un collectif d’associations corses pour protester contre un projet d’enfouissement des déchets. A lire sur le site Info durable.
Partenariat
LSD, La série documentaire est en partenariat avec Tënk, la plateforme du documentaire d’auteur, qui vous permet de visionner jusqu'au 7/2/2022 le film de Villi Hermann, CHoisir à vingt ans (80')