Podcast

Grandir dans un mauvais rêve (Episode 1 sur 4)

Perrine Kervran | Pauline Maucort
Diffusé le lundi, 27 juin 2022 (57 min)


Comment se construire dans un monde de cachettes, mensonges et pénuries ? Faut-il douter des adultes impuissants à nous protéger, ou de ceux promettant un monde parfait ? Où trouver de la joie, quand l’espoir se heurte à l’horizon des jours ternes et répétitifs ?


   
Provient de l'émission
LSD, la série documentaire

Au programme
  • Afghanistan, Roumanie, RDA, Russie, Argentine, quels que soient le régime et l’époque, les enfants ayant grandi sous dictature racontent tous avoir compris très tôt ce qui était attendu et ce qu’il valait mieux éviter pour ne pas risquer de mettre en danger toute la famille. Britta Moehring qui a grandi en Allemagne de l’Est, se souvient : “On est conscient. Même sans comprendre l'ampleur politique, j'avais bien intégré que l’on pouvait courir des grands risques en pensant ou en s’exprimant différemment. Je ne voulais pas mettre ma mère, d'autres personnes de la famille ou des amis en danger. J'ai indirectement compris très vite la situation dans laquelle on vivait”.

    Ils sont souvent la cible du régime, qui dès leur plus jeune âge, s’emploie à les faire marcher au pas, pour leur inculquer l’idéologie du Parti et s’assurer de leur obéissance de parfaits petits sujets. Ekaterina Collard, qui a vécu son enfance en Union Soviétique, explique que petite il n’y avait aucune mauvaise nouvelle à la télévision : “Tout ce que l'on voyait était toujours positif, sauf à l’étranger, où il y avait tout le temps des guerres, des catastrophes naturelles, des massacres, des famines, le sida, des maladies... C'était partout, sauf chez nous. Et moi, je me disais alors : mais quelle chance j'ai d'habiter ici, que c’'est effrayant d'être là-bas”.

    Pour autant, certains se posent des questions comme Bernd Florath qui a également grandi en Allemagne de l’Est : “J'étais très jeune, mais tout de même avec ma logique d'enfant, je commençais à me dire que cette histoire était un peu trop belle pour être vraie. C'était un peu comme un champion olympique qui obtient une médaille d'or et qui n'arrive pas à y croire. On ne cessait de nous répéter que nous étions les meilleurs. Mais, je me demandais, comment se fait-il que ce soit nous, les meilleurs ? J'ai commencé à douter, et je me sentais mal à l'aise parce qu'on nous disait que nous étions comme des dieux. Je voyais bien que dans les faits, ce n'était pas forcément le cas. Quelque chose clochait.”

    Dans un quotidien fait d’interdits, à l’emploi du temps cadré par le régime, où l’on consacre l’essentiel de son énergie à réunir le nécessaire pour se nourrir et se laver, il reste peu de place pour l’insouciance. Ioana Uricaru raconte son quotidien dans la Roumanie totalitaire de Ceaucescu : “On passait des heures et des heures chaque semaine à faire la queue. C'était une activité qui prenait beaucoup de temps entre le travail ou l'école. C’était entre six et huit heure par jour. Toute notre énergie était dirigée à trouver de quoi vivre. Notre vie quotidienne c’était monter une montagne, puis arriver au sommet, il fallait recommencer le lendemain”.

    Parfois, la peur prend trop de place, les adultes baissent les bras, la dépression gagne du terrain. Et pourtant, le rêve et le jeu persistent, le monde imaginaire échappe à la tyrannie, et les enfants continuent à désirer la liberté. Enfant sous la dictature en Argentine, Laura Alcoba témoigne : “Moi, j'ai été adulte très tôt. J'étais comme une petite militante à qui on demandait des choses. Mais, j’avais quand même mon espace de jeu, et j'y tenais beaucoup. Quand j'étais seule, mes poupées étaient très importantes. J'avais des grenouilles en chiffon que m'avait faites ma grand-mère. J'imaginais des histoires et c’était des moments très importants. Avec les autres enfants, on avait des jeux ritualisés ou on avait chacun un rôle. C'était comme des instants de respiration, dont j'avais besoin et qui me faisaient du bien. Des parenthèses. Mais en même temps, il y avait comme un sous-sol caché que je ne partageais pas (tant que mon père était en prison). C'était présent dans ma tête, sans cesse, cette dictature dans laquelle on était entré et qui n'en finissait pas”.

    Un documentaire de Pauline Maucort, réalisé par Julie Beressi.

    Avec :

    Britta Moehring, professeure d’allemand

    Laura Alcoba, autrice de « Manèges : petite histoire argentine »

    Hamed Rassoli, journaliste afghan

    Anna Kaminsky, directrice de la Fondation pour la mémoire de la dictature du Parti Socialiste Unifié (SED)

    Ioana Uricaru, cinéaste roumaine

    Ekaterina Collard, traductrice russe

    Bernd Florath, historien allemand

    Mezghan Trabzadah, afghane

    Bibliographie

    Laura Alcoba, « Par la forêt », Gallimard, 2022

    Laura Alcoba, « Manèges : Petite histoire argentine » , Gallimard, 2007

    Laura Alcoba, « Le bleu des abeilles », Gallimard, 2015

    Marina Anca, « Quand la chenille devient papillon » , Blinkline Books, 2022

    Alina Nelega, « Comme si de rien n’était », éditions des femmes, 2021

    Liliana Lazar, « Terre des affranchis », Actes Sud, 2011

    Agnès Arp et Elisa Goudin-Steinmann, « La RDA après la RDA, des allemands de l’est racontent », Nouveau Monde, 2020

    Alicia Bonet-Krueger, Carlos Schmerkin, "Exils : des voix argentines racontent leur histoire", Carlos Schmerkin, 2022

    Hélène Camarade et Sibylle Goepper, "Les mots de la RDA",  Presses universitaires du Midi, 2019

    Maxime Léo, "Histoire d'un Allemand de l'Est", Actes Sud, 2013

    Florentina Postaru, "Heureux qui, comme mon aspirateur...", Bayard, 2019

    Doris Lessing, "Ces prisons où nous choisissons de vivre", Flammarion, 2020

    Partenariat

    LSD, La série documentaire est en partenariat avec Tënk , la plateforme du documentaire d’auteur, qui vous permet de visionner jusqu'au 11/7/22 le film de Marie Voignier - Tourisme international (48' - 2014)

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LSD
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  • Radio France
Collection
Le quotidien sous régime autoritaire : des vies orwelliennes

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