Parfois, le départ pour la grande ville est une telle nécessité pour pouvoir se construire, qu’on parvient à s’arracher du pays d’origine, et qu’on trouve la force d’affronter la capitale, le labyrinthe gris de ses rues roides, sa foule raz-de-marée, et la violence symbolique de son milieu intellectuel.
Marie-Hélène Lafon et Juliette Rousseau ont grandi dans le Cantal et en Bretagne. Elles ont choisi l’exil vers la ville, et depuis, vivent entre deux mondes. Elles racontent les origines rurales et paysannes, la brutalité de la ville, le sentiment de n’être nulle part chez elles et les gênes et dissonances provoquées par le décalage avec les gens du coin. Par l’écriture elles construisent des ponts entre les deux mondes et les livres sont devenus leur pays.
On entendra par exemple, Marie-Hélène Lafon expliquer que le complexe rural est un sentiment qu’elle ne connaît pas, bien au contraire : “J’ai éprouvé l'inverse, l'envers du complexe rural, c’est-à-dire que j'ai éprouvé la pulsion de l’orgueil rural” et alors qu’elle devait probablement être, pendant ses études à la Sorbonne dans les années 80, la seule fille de paysans, elle s’est servie de ces origines paysannes comme d’une force : “Encore une fois, j'avais plutôt la pente de l'orgueil que celle de la honte, mais j'ai bien conscience qu'elles sont profondément liées, que l’une peut être compensatoire de l'autre et que l'une peut être une façon d'éviter de voir l'autre, parce que c'est trop douloureux, parce que ce n’est pas supportable, donc on peut se rabattre sur l'autre versant des choses. J'avais une nature combative aussi”.
Juliette Rousseau, témoigne de son côté : “Aller à Paris, ça a été hyper dur. Je n'étais pas prête pour ce niveau d'urbanité. J'en avais envie certes, mais comme quelqu'un qui veut se prouver quelque chose. Aller à Paris, c'est quand même à un moment donné d'aboutir à quelque chose. Socialement, c'est un peu le top.” Et pourtant, elle confesse que c’est chez elle, dans sa campagne, qu’elle se sent bien : “Quand je reviens ici, je me rends compte que c'est comme si j'étais au bon endroit. Je ne sais pas comment le dire autrement, mais il y a quelque chose de moi qui ne peut s'exprimer qu'ici et que finalement, c'est une grande violence qui est faite de grandir dans un endroit duquel tu dois ensuite te détacher”.
Un documentaire de Pauline Maucort, réalisée par Gaël Gillon.
Avec :
- Marie-Hélène Lafon, professeure agrégée et écrivaine française
- Juliette Rousseau, autrice, journaliste, traductrice, éditrice et militante
Bibliographie :
- Luc Baptiste, « Le village et enfin », Bleu autour, 2008
- Pierre Jourde, « La première pierre », Gallimard, 2013
- Pierre Jourde, « Pays perdu »,Gallimard, 2022
- Marie-Hélène Lafon, « Les sources », Buchet Chastel, 2023
- Marie-Hélène Lafon, « Histoires », Buchet Chastel, 2015
- Marie-Hélène Lafon, « Le soir du chien », Buchet Chastel, 2023
- Marie-Hélène Lafon, « Joseph », Buchet Chastel, 2023
- Juliette Rousseau, « La vie têtue », Cambourakis, 2022