En 1922, le roi Amanullah Khan fit appel, à la France en 1922, pour l’organisation de l’archéologie en Afghanistan : la Délégation archéologique française en Afghanistan (Dafa) était née. Ses recherches sont actuellement présentées dans une belle exposition au Musée Guimet : « Afghanistan, ombres et légendes ».
Nicolas Engel "Les collections afghanes (présentées dans l'exposition) viennent directement des fouilles menées par la Dafa. Il faut savoir, qu'en fait, la convention qui fonde cette Dafa, en 1922, prévoyait le partage de toutes les découvertes archéologiques à parts égales entre la France et l'Afghanistan, à l'exception des pièces exceptionnelles qui restaient afghanes ainsi que l'or. [...] Le partage est officiellement aboli par la loi sur le patrimoine de 1982, mais c'est vrai que, dans les faits, à partir des années 50, cette clause du partage est progressivement abandonnée."
Philippe Marquis "La Dafa, c'est un siècle de recherches, et c'est un monopole tout à fait exceptionnel d'avoir une exclusivité sur un pays, monopole qui a pris fin, pour la fouille, dès les années 45, et pour le partage, dans les années 50. C'est une faveur exceptionnelle du roi d'Afghanistan de dire qu'il n'y a que les Français qui travailleront sur le patrimoine afghan, en tout cas pour le début du XXᵉ siècle."
Bactres : la mère des cités
Depuis un siècle, les archéologues recherchaient la grande cité d’Alexandre le Grand, capitale du royaume de Bactriane et fleuron de l’Hellénisme en Orient, Bactres. Alfred Foucher, puis Daniel Schlumberger n’en avaient trouvé trace. La cité n’est apparue aux archéologues français qu’en 2002, sur le Tepe Zargaran, la colline des orfèvres, sur les prémices de la ville grecque du IVe siècle avant notre ère, malgré les pilleurs et les très nombreuses galeries souterraines qu’ils y ont creusées.
Nicolas Engel "Aï Khanoum est une ville hellénistique, donc on y retrouve des temples, un gymnase, un théâtre, mais aussi d'autres bâtiments plus locaux par leur matériau en briques crues, avec des plans un peu plus iraniens, d'Asie centrale, pas forcément influés de la Grèce classique."
Entre 1965 et 1978, une autre ville hellénistique, édifiée par les successeurs d'Alexandre le Grand, avait été mise au jour : Aï Khanoum, la dame lune, associe monuments et décors emblématiques du monde grec à un héritage architectural local, fait de briques crues. L’archéologue Paul Bernard y avait exhumé palais, temple et gymnase, mais aussi une des plus belles découvertes du XXe siècle, un texte philosophique d’Aristote - voire de Platon - évoquant « les choses sensibles et les idées »…
A soixante kilomètres au nord de Kaboul se dresse la cité de Begram. Transformée en base militaire sous l’occupation soviétique, puis occupée par les forces américaines, les fouilles ont révélé un extraordinaire trésor tout à la fois hellénistique, indien, chinois et de l’Orient romain.
Reste Mes Aynak, et son gisement de cuivre exploité par la Chine, avec ses sanctuaires bouddhiques qui était encore récemment fouillée. Pour autant, quel est l’avenir de l’archéologie afghane ?
Avec Nicolas Engel, conservateur en charge des collections Afghanistan et Pakistan du musée Guimet, et Philippe Marquis, directeur de la DAFA (Délégation Archéologique Française en Afghanistan).
Références de l'extrait sonore diffusé en milieu d'émission : "Aziz, for my beloved" par Zohreh Jooya & Majid Derakhshani - Album "Music of the persian mystics".
Philippe Marquis "La Dafa ne part jamais vraiment d'Afghanistan, c'est un petit peu comme la Légion. [...] Il y a eu des moments où l'on a pu travailler, et des moments où l'on a moins travaillé, et des moments où, effectivement, pendant 20 ans, les archéologues de la Dafa se sont tous retrouvés en France. Donc quand la Dafa part, ce qui n'arrive jamais, eh bien, elle prépare toujours son retour ! [...] Nous avons des partenaires (fondations) qui sont toujours sur place, qui nous servent de relais, ce qui nous permet de faire, en quelque sorte, du travail à distance et de maintenir un lien. Je crois que il n'y a pas de pire avenir que celui qui n'est pas préparé... Donc, nous sommes en train d'essayer de faire en sorte que cet avenir soit meilleur."
Légendes : photo de gauche : Gobelet, épisodes de l’enlèvement d'Europe, et de Ganymède et l’aigle, Afghanistan, Begram, 1er-2e siècle, Verre peint ; H. 16 ; D. 9,5 cm, Fouilles de la DAFA, mission J. Hackin (1939), Paris, MNAAG / Photo carrée en haut : Gobelet à la hyène Afghanistan, Mundigak, 3000-2500 avant notre ère Terre cuite peinte ; H. 13,8 ; D. 4 cm, Fouilles associées de la DAFA, mission Jean-Marie Casal (1951-1958), Paris, MNAAG / Photo carrée au milieu : Tête de Bouddha, Afghanistan, Hadda, Tapa Kalan, 3e-4e siècle, Stuc, traces de polychromie ; H. 30 ; l. 17,5 ; P. 18 cm, Fouilles de la DAFA, mission Jules Barthoux (1926-1927) MNAAG / Photo de droite en haut : Dieu solaire Surya sur son char, Afghanistan, Bamiyan, niche du Bouddha de 38 mètres, Relevé de peinture exécuté par Jean Carl, 1935, Gouache sur toile ; H. 275 ; L. 186 cm, Fouilles de la DAFA, mission Joseph Hackin (1930), MNAAG / Photo de droite en bas : Plaquette, deux femmes sous une arche, Afghanistan, Begram, ivoire sculpté ; H. 14,6 ; l. 13,5 cm, Fouilles de la DAFA, mission Joseph Hackin (1939), Paris, MNAAG / Photo du bas à gauche : Plaquette, balustrade avec garudas et nagas, Begram, 1er-2e siècle, Ivoire sculpté ; H. 7,3 ; l. 18,4 cm, Fouilles de la DAFA, mission Joseph Hackin (1939), Paris, MNAAG.
Nicolas Engel "La conquête de l'islam en Afghanistan est un sujet en soi. Il n'y a pas de conversion automatique et systématique de la population. Ça s'est fait par le biais d'expéditions militaires à partir du VIIᵉ siècle. [...] La nature bouddhique des sculptures des grottes avait été perdue et ces deux bouddhas monumentaux (Bâmiyân) étaient devenus des héros protecteurs de la vallée. Puis, il faut attendre le XIXᵉ siècle, les explorateurs voyageurs un petit peu espions liés à la Compagnie des Indes orientales, qui retraversent l'Afghanistan, pour que la nature bouddhique de ces deux colosses soit reconnue."
Nicolas Engel "En 2001, le patrimoine afghan a souffert, au musée de Kaboul et à Bâmiyân, c'est l'image qu'on en a gardé, diffusée, filmée par les talibans et répandue à travers le monde. Les bouddhas ont explosé, les peintures murales des niches aussi, ainsi que les quelques milliers de grottes qui sont là, percées et aménagées dans la falaise de Bâmiyân qui ont aussi été visitées. L'exposition en rend compte à travers une photographie d'une des grottes, celle que l'on appelle "la grotte aux semelles de chaussures" (ou semelles Nike). Les peintures qui devaient représenter des bouddhas ont été recouvertes de suie, volontairement, puis ensuite, les talibans ont lancé leurs chaussures sur les plafonds et sur les murs afin de symboliquement piétiner ces figures bouddhiques."
Pour aller encore plus loin
Quelques références citées