Édito de Charles Pépin
"Je voudrais vous raconter l’histoire de l’action, ou plutôt, l’histoire d’un homme. C’est un homme qui aime regarder le monde, observer les gens, s’attarder sur leurs sourires, leurs gestes, leurs silences… Il aime cette position, un peu en retrait, ce recul ; il se dit parfois qu’elle est là, sa vraie place. [...]
Et puis un jour, tout change. C’est un ami qui lui dit : Viens, on y va. Viens, on le fait. Ah bon, t’es sûr ? Avec moi, t’es sûr ? Pourquoi moi ? Parce que c’est comme ça, allez viens, on y va. Alors, c’est la confiance qui vient. Il ne la trouve pas en lui, il la trouve en son ami, il la trouve en l’autre. Et il s’y met. Il ne connaît pas cette phrase géniale du philosophe Alain : 'le secret de l’action, c’est de s’y mettre'. Il ne la connaît pas, mais il est d’accord avec elle. Il découvre le plaisir de faire. Le sage contemplatif devient un homme d’action. Le grec ancien, un poète d’aujourd’hui. Il comprend que sa prétendue sagesse n’était peut-être que le cache sexe d’un complexe d’imposteur. Il aime ça : non plus contempler émerveillé l’infini des possibles, mais regarder, ébloui, un peu de ce possible devenir réalité.
Pour parler des pouvoirs de l’action, ou plus simplement de ce que c’est que de s’y mettre, Gringe, rappeur et comédien, écrivain également est invité dans Sous le soleil de Platon."
Alors, comment on fait pour s’y mettre ?
Procrastination et action
Considéré comme un loser au début du film Demain, c’est loin qui raconte ses débuts avec Orelsan, ou comme "bloqué", dans la série du même nom sur Canal+, Gringe a finalement accompli beaucoup de choses. Charles Pépin s’interroge, quel a été le déclic pour lui ?
Gringe explique ce qui peut lui donner envie d’agir : "Là, par exemple, je suis dans une période transitoire où je ne sais pas comment y revenir et avec quelle envie. Je m'interroge sur la place à laquelle j'ai envie d'être, l'endroit dans lequel j'ai envie d'être. Mais ce qui me pousse à y aller, je parle pour moi, ça se passe dans le regard de l'autre. Ce qui pousse à s'y mettre, c'est la confiance que peut nous accorder un pote qui, lui, s'y est mis depuis un moment. On endosse une espèce de responsabilité collective, une envie de ne pas décevoir son pote et soi-même aussi. On a envie de se hisser au moins au niveau.”
En effet, après le grand succès en solo du Chant des sirènes, Orelsan propose à Gringe de monter le groupe Casseurs Flowters.
Gringe explique dans l'émission pourquoi il ne voulait rien faire dans sa jeunesse, mais se sentait en décalage avec les autres :
"L'implication se fait par étapes, petit à petit. Je pense qu'il y a eu une espèce de torpeur. J'avais du mal à me sortir de ça parce que je ne voulais pas correspondre. Je ne voulais pas correspondre à la norme. Je ne voulais pas faire d'études, je n'avais pas d'idées, je n'avais pas spécialement d'envie. J'avais cette idée un peu réductrice que le monde du boulot, c'était la fin des libertés personnelles. Il y avait plein de trucs que je refusais de faire, donc j'étais en retrait. Très en observation à un âge où mes potes se construisaient, trouvaient leur premier boulot, se maquaient même en couple. J'étais en décalage de tout."
Ensemble, on aboie en silence
Gringe a écrit un livre, Ensemble, on aboie en silence (publié chez Harper Collins) dans lequel il parle de son enfance et de son frère, de qui il est proche, et qui est schizophrène, même si cela ne le définit pas. Une déclaration d’amour à un frère qui lui a beaucoup appris :
"Généralement, les gens qui souffrent, les gens qui ont morflé, trop morflé, sont dans l'empathie. Ils savent ce que c'est que de souffrir. Mon frère n'a jamais été dans le jugement vis-à-vis de moi. À l'inverse, il m'a appris à relativiser les petits bobos, de comprendre de mieux en mieux sa réalité au point de me dire : c'est quand même fou qu'au bout de quinze ans, il soit toujours sur ses deux jambes et combatif et volontaire [...]. Je ne sais pas si j'aurais eu sa force de résilience. Mais des gens comme les gens qui souffrent – en silence, qui plus est –, ça fait relativiser sur ses propres errances, ses bobos et ses petits questionnements existentiels."
Pour profiter de l'échange passionnant entre Gringe et Charles Pépin, l'épisode est à écouter dans son intégralité...