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Le Togo, symbole de cette Afrique de l'Ouest où on prend les mêmes et on recommence

Jean-Marc Four
Diffusé le jeudi, 20 février 2020 (4 min)


Le Togo vote après-demain. Le scrutin va sans doute passer largement inaperçu. Il est pourtant révélateur de la régression démocratique en cours dans cette partie du monde. Il y a quelques années on a cru dans une évolution favorable. Mais maintenant c’est marche arrière. C’est le « Monde à l’envers ».


   
Provient de l'émission
Le monde d'après

Au programme
  • C'est une monarchie héréditaire. Sous couvert d’élections évidemment, mais bien une monarchie héréditaire.

    Après-demain, selon toute probabilité, Faure Gnassingbe, 53 ans, sera réélu à la tête du Togo et de ses 8 millions d’habitants, entre Ghana, Bénin et Burkina Faso. Faure Gnassingbe, surnommé « Petit Gnass » par ses adversaires, est au pouvoir depuis déjà 15 ans. Il va attaquer son 4ème mandat.

    Et avant lui, qui dirigeait le pays ? Je vous le donne en mille : papa, Gnassingbe Eyadema, pendant 38 ans ! Pas besoin d’être fort en maths pour faire l’addition : ça fait donc 53 ans que la famille Gnassingbe est au pouvoir au Togo ! Quasiment depuis l’indépendance.

    La technique n’a pas fondamentalement changé. Elle repose sur trois piliers :

    • Un pouvoir souriant mais verrouillé avec une opposition muselée : il y a deux ans, des centaines de milliers de Togolais ont manifesté pour une alternance, ça n’a rien changé.
    • Des scrutins opaques : les observateurs indépendants ne sont pas les bienvenus.
    • Et un petit micmac : on change la constitution pour faire des mandats en plus. Là par exemple, Faure Gnassingbe a déjà la garantie de pouvoir se présenter en 2025 pour un 5ème mandat.

    Si encore les Togolais en profitaient, on pourrait parler d’une « dictature éclairée ». Mais plus de la moitié de la population vit encore sous le seuil de pauvreté, malgré une lente amélioration. Et l’industrie du phosphate, longtemps majeure pour le pays, s’est effondrée après des scandales de corruption.

    La Guinée et la Côte d'Ivoire filent aussi un mauvais coton

    Et le Togo est donc une sorte d’appartement témoin d’une régression démocratique en cours en Afrique de l’Ouest avec partout la même technique: une réforme constitutionnelle pour empêcher l’absence d’alternance. Deux autres exemples sautent aux yeux, dans la même région.

    D’abord la Côte d’Ivoire et ses 25 millions d’habitants. Les élections sont prévues fin octobre, elles s’annoncent tendues. Pourquoi ? Parce qu’Alassane Ouattara, 78 ans, veut rester au pouvoir. Donc que fait-il ? Il envisage une réforme constitutionnelle. Et il cherche à empêcher la candidature de son ancien allié, le beaucoup plus jeune Guillaume Soro, 47 ans, pour l’instant réfugié à Paris car désormais poursuivi par la justice ivoirienne sur des bases controversées.

    Ensuite, un peu plus à l’Ouest, la Guinée, 12 millions d’habitants. Même topo : l’ancien opposant Alpha Condé, 81 ans, au pouvoir depuis 10 ans, veut un 3ème mandat. Donc il fait quoi ? Vous avez deviné, il veut faire modifier la constitution, par référendum d’ici 10 jours. Les opposants peuvent bien manifester. Ils sont arrêtés, plusieurs interpellations aujourd’hui encore. 

    En 20 ans, 11 autres pays africains ont connu des tripatouillages constitutionnels de ce genre, visant à maintenir un homme fort au pouvoir. Le champion toute catégorie, c’est le camerounais Paul Biya, au pouvoir depuis 37 ans, il peut faire des mandats illimités. Tripatouillage constitutionnel également au Tchad pour Idriss Deby, au Congo pour Denis Sassou Nguesso, et aussi plus à l’est, au Rwanda, en Ouganda ou à Djibouti.

    Bref l’alternance est persona non grata.

    La communauté internationale ferme les yeux

    Le reste du monde préfère ne pas regarder. Le développement de la démocratie et de son incarnation qu’est l’alternance ne sont plus les priorités des grands partenaires de l’Afrique. Les pays occidentaux veulent surtout des partenaires fiables, dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et la gestion des flux migratoires. C’est pour ça que Faure Gnassingbe au Togo ou Idriss Deby au Tchad ont la bénédiction de Paris. La stabilité est une priorité : donc on préfère aussi appuyer Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire.

    Quant aux puissances montantes en Afrique, j’ai nommé la Chine et la Russie, ce ne sont pas elles, vous vous en doutez, qui vont plaider pour l’alternance démocratique. Le modèle chinois de parti unique est un rêve incarné pour plusieurs dirigeants africains. Et la Russie cherche surtout à placer ses conseillers militaires. Y compris en Guinée, où son ambassadeur appuie ouvertement la réforme constitutionnelle.

    Il y a bien des contre-exemples sur le continent : au Soudan, en Éthiopie, même au Burkina, les évolutions de ces dernières années ont été globalement positives en termes d’alternance. Mais ces exceptions confirment la règle : la démocratie, un temps en progression, recule à nouveau en Afrique.

    Et le risque est majeur de voir des sociétés civiles, aspirant à l’alternance, entrer en conflit ouvert avec des dirigeants vieillissants accrochés au pouvoir.

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Le monde d'après par Jean-Marc Four
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