"Avec Philosophie" propose une série d'émissions consacrée à l'idée de voyage. Dans ce quatrième épisode, Géraldine Muhlmann et ses invités s'intéressent aux voyages de Sartre, Beauvoir, Gillet, Leys et Barthes en Chine, URSS et Allemagne.
Des intellectuels invités trompés ?
Au 20e siècle, dans les régimes autoritaires, la propagande n’est pas seulement interne : une réelle politique de communication s’établit. Ainsi, comme l’explique François Hourmant, “se met en place, dès les années 1925, toute une organisation très scrupuleuse des voyages en Union soviétique, à des fins évidemment de propagande, c'est la diplomatie culturelle”. Ces opérations de séduction visent particulièrement “tout un certain nombre d'intellectuels de renom pour assurer évidemment la diffusion de la réussite du communisme”, et elles fonctionnent plutôt bien.
Sartre, mauvaise foi ou illusions ?
Sartre s’est rendu onze fois en Union soviétique, pour des voyages plus ou moins longs. Il vivra même une passionnelle histoire d’amour avec celle qui l’accueille et qui le surveille : Léna Zonina. De retour en France, il glorifie le système politique de l’URSS. Or, comme l’affirme Cécile Vaissié, Sartre “connaissait les purges et les arrestations”, il a même publié dans “sa revue un texte où il dit qu’effectivement, il y a des millions de déportés en Union soviétique et que c’est un problème pour le socialisme”. Comment alors expliquer ses propos ?
Louis Gillet et l'Allemagne
Louis Gillet, écrivain, journaliste, académicien, publié du grand public, se rend en Allemagne nazie pour les Jeux olympiques et se laisse également illusionner par la propagande. Il écrit ainsi Rayons et ombres d’Allemagne. Pour Jérôme Prieur, “ce qui est très intéressant, c'est de voir sa fascination, son envie d'y croire. En même temps, il n'est pas dupe : ce n'est pas un idiot”.
Pour en parler
François Hourmant, professeur de science politique à l’université d’Angers. Il a notamment publié :
- Au pays de l’avenir radieux. Voyages des intellectuels français en URSS, à Cuba et en Chine populaire, Aubier, 2000.
- Les années Mao en France : avant, pendant et après mai 68, Odile Jacob, 2018.
- Sous la direction de Bruno Bruneteau et François Hourmant, Le vestiaire des totalitarismes, CNRS éditions, 2022.
Cécile Vaissié, professeure en études russes et soviétiques à l’université Rennes 2. Spécialiste de l’histoire des intellectuels en URSS et des politiques d’influence soviétiques et russes. Parmi ses publications, on trouve :
Jérôme Prieur, cinéaste et écrivain. Il est :
- l'auteur du livre : Regarder et ne pas voir. Louis Gillet, un témoin au cœur des années sombres (1936-1943), Seuil, coll. “La Librairie du XXIe siècle”, mars 2024.
- et de ce livre : Berlin, les Jeux de 36, préface de Johann Chapoutot, rééd. en poche aux Editions La Bibliothèque, le 19 avril 2024 en librairie (première édition 2017).
- du film de 2016 : Les Jeux d’Hitler, Berlin 1936 (2016).
- et notamment de ce film : Les Sentinelles de l'oubli (2023), lauréat du Grand Prix du festival de l’histoire de l’art 2024.
Références sonores
- Lecture par Riyad Cairat d'un extrait de Jean-Paul Sartre, “Les impressions de Jean-Paul-Sartre sur son voyage en U.R.S.S.”, propos recueillis par Jean Bedel, Libération, le 15 juillet 1954.
- Archive de Simon Leys, “Apostrophes” sur Antenne 2, le 27 mai 1983.
- Extrait du documentaire Les Jeux d'Hitler Berlin 1936, réalisé par Jérôme Prieur, 2016 (Musique : Marc-Olivier Dupin ; Voix : Denis Podalydès).
Le Pourquoi du comment, la chronique de Frédéric Worms
Retrouvez sa chronique ci-dessous.