Podcast

Les publics ne sont-ils que des foules dangereuses ? Gabriel Tarde et Gustave Le Bon (Episode 3 sur 4)

Géraldine Muhlmann
Diffusé le mercredi, 27 novembre 2024 (59 min)


Au 19e siècle, la foule devient un sujet d’étude, notamment en France et en Italie. Dans "Psychologie des foules" (1895), Le Bon analyse la foule comme une entité irrationnelle, soumise à des lois propres. Gabriel Tarde critique cette vision, distinguant foule et public.


Elena Bovo Maîtresse de conférences à l’université de Franche-Comté, auteure d'une thèse sur Levinas et Derrida
Frédéric Brahami Directeur d’études de l’EHESS (Centre Raymond Aron)



   
Provient de l'émission
Avec philosophie

Au programme
  • Au 19e siècle, Gustave Le Bon voit la foule comme bien plus qu’un simple amas de corps : elle obéit à des logiques psychologiques profondes. Gabriel Tarde, lui, défie cette vision en mettant en avant l'individu et la possibilité de comportements plus rationnels au sein de ces masses. Pour Le Bon, la foule se définit par ses mécanismes psychologiques, tandis que Tarde nuance cette idée, ouvrant la voie à une autre compréhension des groupes. Cette confrontation invite à repenser ce qui se joue aujourd’hui sur les réseaux sociaux, où les comportements collectifs, souvent irrationnels, se mêlent aux nouvelles formes de communication.

    L’idée de foule destructrice de Gustave Le Bon

    À la fin du 19e siècle, une fascination mêlée de crainte émerge autour des foules. Ces masses imprévisibles sont perçues comme des entités régies par des lois propres, que des penseurs comme Gustave Le Bon tentent de théoriser, notamment dans son ouvrage Psychologie des foules (1895). Selon Elena Bovo, cette période voit naître une volonté de "comprendre, anticiper et maîtriser les comportements de foule". Dans ce cadre, Le Bon s’appuie sur l’idée d’un inconscient collectif, qu’il décrit comme "un ensemble d’instincts sous-jacents à la personnalité consciente". Cette conception marque une rupture en ce qu’elle attribue aux foules une identité propre, distincte des individus qui les composent. Pourtant, Le Bon, loin de s’en tenir à une analyse universelle, lie ce phénomène à des considérations racialistes : "Pour Gustave Le Bon, chaque foule répond aux lois de la race qui l’anime. La foule française, la foule latine, sera toujours différente de la foule allemande". En cela, il dénature les perspectives initiales de penseurs italiens comme Scipio Sighele : celui ci voyait dans les foules une expression des souffrances sociales et politiques. Le Bon, en éludant ces dimensions, renferme la pensée de la foule dans une approche déterministe, où cette dernière est réduite à un phénomène destructeur et irrationnel.

    La critique de Gabriel Tarde

    Contrairement à Gustave Le Bon, Gabriel Tarde propose une distinction fondamentale entre la foule et le public dans son ouvrage L’Opinion et la foule (1901). Il insiste sur la dimension rationnelle du public, qu’il oppose à l’irrationalité des foules. Comme le souligne Frédéric Brahami, Tarde affirme que "les publics sont rationnels. La presse, c'est du verbe, des argumentations, quelque chose qui ne peut pas relever du hurlement de la foule". À travers la presse, le public devient une communauté "spiritualisée, une communauté qui n'a pas besoin de la présence physique". Cette communion intellectuelle repose sur un phénomène de mimesis : "Ce qu'on aime dans les journaux, c'est l'idée inconsciente qu'on les lit tous en même temps". Cependant, Tarde identifie également des limites à cette idéalisation. Il souligne que cette communauté, bien que potentiellement infinie dans l’espace, est structurée par des mécanismes de filtre et d’exclusion : "Il y a des mécanismes de clôture qui font que ce public ne va lire que ce qu'il cherche déjà".

    Pour en parler

    Elena Bovo, maîtresse de conférences à l’université de Franche-Comté, auteure d'une thèse sur Levinas et Derrida. Elle est l'autrice de :

    Frédéric Brahami, directeur d'études de l'EHESS, en philosophie sociale et politique. Il est l'auteur de :

    Références sonores

    • extrait du film "Gladiator" (2002) de Ridley Scott
    • archive "Les dossiers de l'histoire", France Culture, 15.05.1967
    • Lecture par Nicolas Berger d'un extrait de Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, Alcan, 1895, p. 20
    • Lectures par Nicolas Berger d'un extrait de Gabriel Tarde, L'Opinion et la foule (1901), Dunod, 2024
    • Chanson en fin d'émission : Edith Piaf - La foule (1958)
Illustration
Avec philosophie
Copyright
  • Radio France
Collection
Qu'est-ce qu'un "public" ?

Consulter en ligne

Suggestions

Du même auteur

Podcast

Qu’attend-on aujourd’hui d’un représentant du peuple ?

Avec philosophie

Géraldine Muhlmann
Diffusé le vendredi, 17 mars 2023  (Durée 59 min)

Qu’attend-on des représentants du peuple en démocratie ? Doivent-ils écouter le peuple, le parti ou leur conscience ? Qu’est-ce qui doit primer : leur jugement ou leur comportement ...

Podcast

D'où vient l'idée qu'il y a des races ?

Avec philosophie (Episode 1 sur 4)

Géraldine Muhlmann | Aïda N'Diaye
Diffusé le lundi, 31 octobre 2022  (Durée 59 min)

Quelle est l’histoire de ce concept qui oscille dès le départ entre le politique, le social et le biologique ? Et pourquoi avons-nous tant de mal à en finir avec l’idée qu’il existe une pluralité...

Podcast

Privation, abstinence, ascèse... est-ce l'avenir ?

Avec philosophie (Episode 4 sur 4)

Géraldine Muhlmann
Diffusé le jeudi, 22 septembre 2022  (Durée 59 min)

Que pouvons-nous faire face au réchauffement climatique et à l’accroissement des inégalités ? Un changement de système est-il suffisant pour mettre fin à notre mode de consommation démesuré ...

Podcast

Platon a-t-il rendu justice à Socrate ?

Avec philosophie (Episode 2 sur 4)

Géraldine Muhlmann
Diffusé le mardi, 22 novembre 2022  (Durée 59 min)

Platon est-il le seul à avoir bien compris Socrate ? Que représente la mort de Socrate ? De quoi était-il accusé ?

Podcast

Pourquoi l'eau est-elle un bien commun si difficile à protéger ?

Avec philosophie (Episode 3 sur 4)

Géraldine Muhlmann
Diffusé le mercredi, 07 décembre 2022  (Durée 59 min)

Dès lors qu’il reconnaît l’eau comme un agent à part entière, l’être humain perd sa place de “gestionnaire” de la nature et doit se réinventer comme un “gardien”. S'agit-il alors pour lui d'accorder u...

Chargement des enrichissements...