Médiathèque Georges Brassens

Andrée Putman, qui a beaucoup fréquenté le milieu de la mode en a rapidement perçu les travers. Revenant sur les lieux qu’elle a aménagés, elle fait ce constat : "je le dis en toute modestie, mon travail n'est jamais datable . […] Si je retourne à l'Hôtel Morgans [sur Madison Avenue, à New York, ndlr] qui a ouvert en 1984, on pourrait croire qu’il a été fini très récemment. Ça me fait très plaisir, parce que j'ai côtoyé la mode, j'étais intéressée par la mode, mais la mode vieillit mal […]. Et faire quelque chose qui ne devient pas ridicule, ça m’est très agréable. Car j'ai quelque fois décelé dans des choses très brillantes et remarquables, en tout cas frappantes, la petite graine qui allait traîner l’objet au purgatoire."

Une griffe minimaliste et intemporelle

Lorsqu’elle dessinera des collections, c’est guidée par le souci d’intervenir de manière très effacée sur les objets du quotidien et de laisser place à l’imperfection (comme pour cette ligne de couverts qu’elle a signée pour Chritofle avec des anneaux d’argent irréguliers) : "il faut accepter qu'il y ait beaucoup de choses qu'on ne puisse plus toucher, ou à peine. Et si on les touche, il faut qu’il y ait une petite graine de plaisanterie dedans, un recul, un humour ". Et c'est cette même condamnation du culte du beau que l'on retrouve lorsqu’elle réalise les aménagements intérieurs, en apprivoisant des lieux en friche comme un ancien entrepôt de la SNCF dans lequel elle dessinera les locaux de la plateforme de rencontre entre stylistes de mode et industrie, Créateurs et Industriels, ou le CAPC, le musée d’art contemporain de Bordeaux dans les entrepôts Lainé. Iconoclaste assumée, elle se plaît à associer des matériaux « pauvres » et « précieux », joue avec les apparences  : "très souvent, j'ai aimé des choses qui étaient considérées comme très ingrates. Dans l'architecture industrielle, il y a l'idée de faire avec peu, d'économie. Ce sont des endroits qu'il ne faut pas protéger parce qu'ils vont subir toutes sortes d'agressions [...], où le nombre de mètres carrés, l'espace, au sens littéral du mot, est essentiel. Très souvent, on y emploie des matériaux méprisés parce que visiblement les moins chers du monde. Eh bien, ça fait de la beauté tout ça. Mais à l'époque, c'était vraiment bizarre de voir de la beauté là-dedans ! "

Un bureau nommé Ecart

Très affectée par son divorce avec le critique d’art Jacques Putman, s’ouvre pour elle "une page blanche", qui va la décider, en 1978, à 53 ans, à créer dans le Marais à Paris son propre bureau, qu'elle nommera Ecart : "on me disait : « mais pourquoi Ecart ? », et je répondais « parce que c'est quand même un très beau mot ». Mais il n'avait encore rien évoqué de clair pour moi et je me réfugiais dans l'évidence que l'image inversée d’écart, c’est trace, le mélange des deux, évidemment, est très séduisant ". Un nom qui dit la marge et qui lui va comme sur-mesure : "car être à l’écart c’était mon cas après tout", " je ne correspondais jamais". Suivant la voie audacieuse qu'elle s'est tracée, elle se tiendra hors des sentiers battus, en archéologue de la modernité, sur les traces de productions d'avant-gardes passées ou en tête chercheuse d'artistes prometteurs.