Mercenaires syriens déployés en Azerbaïdjan par la Turquie, Soudanais envoyés en Libye ou au Yémen par les Emirats arabes unis, paramilitaires russes en Centrafrique… L’internationalisation des conflits semble avoir pris, ces dernières années, une nouvelle dimension: non seulement on ne se fait plus la guerre sur son propre territoire, mais on n’y envoie plus, non plus, sa propre armée.
Pour autant, si les terrains et les belligérants changent, le principe est ancien. Du mercenaire français Bob Denard, impliqué dans de nombreux coups d’Etats en Afrique de la période des indépendances au milieu des années 1990, à la désormais célèbre, bien que mystérieuse, société militaire russe Wagner, en passant par l’américaine Blackwater, pointée du doigt à la fin des années 2000 pour ses exactions en Irak, l’objectif est toujours le même: faire faire à des groupes privés ce que l’on ne peut pas demander aux armées nationales.
La résurgence de ces pratiques anciennes n’en est pas moins révélatrice du chaos international actuel. Car c’est en l’absence de « gendarme » identifié et de gouvernance mondiale claire que se multiplient les guerres par procuration et le recours à des acteurs non-conventionnels.
Assiste-t-on, de la Libye au Karabakh, au déploiement d’une nouvelle génération de mercenaires ? Quelles sont les sociétés privées qui les recrutent, et quels liens entretiennent-elles avec les Etats? Pourquoi ces derniers préfèrent-ils recourir à leurs services plutôt qu’aux armées régulières ? S’agit-il de réduire les coûts économiques de la guerre, ou d’éviter d’en payer le prix moral et politique auprès de son opinion publique ?
Une discussion en compagnie de Pierre Gastineau, journaliste, rédacteur en chef d’Intelligence Online, producteur de la série documentaire radio "Le monde des espions" et Jalel Harchaoui, chercheur à l'Institut des relations internationales de Clingendael, Pays-Bas.
Nous assistons à une massification d'un phénomène qui a commencé avec l'intervention américaine en Irak, avec des sociétés qui intervenaient à l'époque dans le cadre de soutien à des interventions légalisées. Néanmoins, ce mode d'action a été adopté par de plus en plus de puissances telles que la Russie ou la Turquie - des pays en quête de profondeur stratégique et voulant projeter leur puissance dans des cadres régionaux sans en payer le coût politique. Pierre Gastineau
L'implication du groupe Wagner en Afrique ne relève pas de l'opportunisme pur. Il correspond à une réflexion stratégique sur le long terme de la part du Kremlin. Cela dit, c'est à Wagner d'ensuite trouver une viabilité économique dans la marge de manœuvre qui a été posée par la logique stratégique de l'État russe. Jalel Harchaoui
Seconde partie - le focus du jour
Réguler les entreprises de sécurité privées
Avec Cyril Magnon-Pujo, maître de conférences en sciences politiques à l’Université Lyon 2.
La mise en place de l’association suisse ICoCa, qui surveille la bonne application d’un "Code de conduite international" pour les entreprises de sécurité privées, est le résultat d'un processus d'une dizaine d'années. Aujourd'hui, les résultats de ce processus sont mitigés : les possibilités d'enquête dans le cas de violations de ce code sont limitées, vu que ce code de conduite est un label, une législation "a priori". Cyril Magnon-Pujo
Références sonores
- Début octobre dernier, au Forum Globsec de Bratislava, Jean-Yves Le Drian évoquait le retour des mercenaires
- Témoignage d’un Soudanais recruté par Black Shield en Lybie (Tv5 Monde, 06 février 2020)
- Témoin d’une séquence de recrutements de mercenaires russes pour Wagner en Syrie (France 24, 27 janvier 2019)
- Tim Spicer parle des raisons qui lui ont donnés l’idée privatiser le coté passif, ou défensif de l’armée (« Tim Spicer, le pionnier de la guerre privée » dans la série France culture « Le Monde des espions, saison 2 : les nouveaux corsaires » par Philippe Vasset et Pierre Gastineau)
- Témoignage d’un mercenaire de Blackwater en Irak en 2011 (Extrait du documentaire « Les armées privées, Blackwater ou la Xe » de Patrick Forestier
Références musicales
- « Blind » de Christian Loffler (Label : Ki Records)
- « Bombers » de David Bowie (Label : EMI)