Nous sommes le jeudi 21 octobre. Il est 21h00 à Paris. Et il est… 15h00 à Basse-Terre et à Fort de France. Il est 16h00 à Cayenne. 17h00 à Saint Pierre. 23h00 à Saint Denis. 7h00 du matin à Mata Utu où nous sommes, déjà, le vendredi 22 octobre. C’est un lieu commun : le soleil ne se couche jamais sur la France. Mais ce lieu commun a une vertu. Il prouve que la France n’est pas circonscrite à l’Hexagone. Loin de là. Il tempère une vision ethnocentrée que beaucoup de Français ont en partage, considérant la métropole comme un centre, les outremers comme des satellites. Il montre, surtout, la distance géographique de ces territoires vis-à-vis de l’Hexagone et laisse soupçonner leur diversité démographique, esthétique, linguistique, sociale, économique.
Mais par quoi, en quoi, ces territoires – plus de 162 îles et un morceau d’Amérique – sont-ils liés ? Qu’ont-ils en commun ? A l’aune de la géographie et de ses outils, partons ce soir sur les cinq continents pour traverser la France.
Pour en parler, nous recevons le géographe François Taglioni, l'anthropologue et linguiste Valelia Muni-Toke, le professeur de science politique Vincent Martigny et l'écrivain Raphaël Confiant.
Bien nommer les territoires
François Taglioni, géographe, rappelle la difficulté à nommer correctement les territoires français hors de l'Hexagone, mais aussi les évolutions de ces qualificatifs et le sens politique qu'ils charrient :
Si on prend la définition de l'outre-mer stricto sensu, c'est ce qui est au-delà des territoires, au-delà des mers. Donc on est par rapport à un espace et on se projette au-delà des mers. Donc, si on part de ce principe, tout est outre-mer. Je veux dire par là qu'on peut considérer que la Réunion ou les Antilles ou la Guadeloupe et la Martinique ont eux-mêmes des outre-mer. Donc effectivement quand on pense outre-mer dans le sens où on l'emploie aujourd'hui bien évidemment que derrière, il y a une idée, presque politique : c'est-à-dire que l'outre-mer a désigné pendant toute la période coloniale française des territoires conquis et sous administration. C'est vraiment cette idée qui revient, même si depuis 2011, on voit que le terme outre-mer est passé au pluriel pour peut être marquer, justement, cette diversité des outre-mer.
L'anthropologue Valelia Muni-Toke précise également le statut juridique des territoires d'outre-mer, qui est en réalité très hétérogène :
L'outre-mer est une catégorie politique. On a une catégorie administrative au départ avec un ministère des outre-mer en France, mais c'est vrai que cette catégorie administrative est très hétérogène du point de vue des statuts. On a des départements qui sont entièrement assimilés statutairement à l'État français et qui sont censés fonctionner de la même manière que les autres départements métropolitains. Mais on a aussi des collectivités qui ont un statut particulier, avec une autonomie un tout petit peu plus grande. La Nouvelle-Calédonie a un statut à part qui lui est propre. Et puis, on a enfin les Terres australes et antarctiques françaises, qui ne sont pas habitées, mais qui dépendent encore d'un autre statut juridique. Donc, on a une catégorie administrative très hétérogène. Mais si on regarde effectivement les choses du point de vue de la souveraineté, ça devient plus intéressant parce qu'on peut faire des comparaisons avec d'autres cas internationaux. Donc, on pourrait décrire les territoires des outre-mer français comme des territoires qui sont dépendants politiquement d'un Etat dont ils sont géographiquement éloignés et qui restent des territoires non souverains.
Penser le commun et les singularités
L'appellation outre-mer a tendance à unifier et homogénéiser les territoires, alors même qu'il existe entre eux des différences majeures. Vincent Martigny souligne ainsi la difficulté à créer un sentiment de commun, malgré certaines ressemblances :
Ce qui pourrait caractériser probablement aussi leur point commun, s'il devait y en avoir, c'est d'être dans des termes très différents les uns des autres des sociétés multiculturelles, multiconfessionnelles, multireligieuses et qui vivent cette multiculturalité de manière plus ou moins harmonieuse. On va dire souvent plus harmonieuse que moins, mais avec des singularités. Donc, il y a quelques points communs distinctifs des sociétés issues de l'esclavage, de la colonisation, des sociétés post-coloniales, des sociétés marquées par de fortes inégalités, des sociétés multiculturelles. Mais ça ne suffit pas, à mon avis, à créer le sentiment d'unité des uns aux autres.
Raphaël Confiant, écrivain, revient sur la tradition jacobine française qui impose la primauté d'une langue au détriment des langues régionales :
La France est un pays jacobin et à l'intérieur même de l'Hexagone, il y a des luttes très dures qui sont menées depuis le fameux rapport de l'abbé Grégoire lors de la Révolution française qui s'appelait Étude sur les patois de France et les moyens de les éradiquer. Donc, la Révolution française a imposé le français de manière plus ou moins brutale, jusqu'à provoquer la quasi extinction des langues régionales. Regardez la Bretagne qui se bat depuis quelques temps pour les écoles immersives. On répond aux Bretons, alors oui, mais l'immersion est contraire à la Constitution française. Les Basques aussi veulent des écoles immersives. C'est très, très difficile déjà dans l'Hexagone pour les langues régionales. Imaginez vous quand vous êtes en outre-mer. Moi, j'ai écrit mes cinq premiers livres exclusivement en créole, donc publiés en Martinique, bien sûr. Et évidemment, personne ne m'a considéré comme un écrivain. Dans nos pays, si vous utilisez la langue locale comme langue principale d'écriture, vous n'êtes pas vraiment pris au sérieux. Je n'ai été pris au sérieux que lorsque j'ai publié mon premier livre chez Grasset.
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