Pour thématique, une remontée dans des temps très anciens.
Pour tenter de saisir ce qu’il y a de commun entre nous et les néandertaliens, les sapiens, nos ancêtres lointains, de commun dans notre rapport à l’espace, dans les raisons qui nous poussent à migrer, à aller voir ailleurs, mais aussi à nous installer quelque part, à nous enraciner dans des lieux.
Que nous apprend sur nous-mêmes la paléogéographie ? Énormément de choses, de connaissances, que nous allons tenter d’approcher, dans Géographie à la carte.
Quentin Lafay en discute avec deux des plus grands spécialistes de la question, Jean-Paul Demoule, archéologue et préhistorien, professeur émérite de protohistoire européenne à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, et membre honoraire de l'Institut universitaire de France, et Antoine Balzeau, paléoanthropologue, chargé de recherches au CNRS et chercheur au département de préhistoire du Muséum national d'histoire naturelle.
A la recherche du berceau de l'humanité
Certains la situent au Tchad, d'autres encore au Botswana : depuis de nombreuses années la communauté scientifique s'évertue à trouver la localisation très précise du point de départ de l'humanité, de son "berceau". Pour l'archéologue Jean-Paul Demoule, cette recherche relève du "fantasme de l'origine". Selon lui, "il n'y a pas d'origine, on peut remonter jusqu'aux premières bactéries, il n'y a jamais eu de rupture. Le plus ancien primate a 65 millions d'années environ". A noter aussi, l'influence de la culture, marquée par l'idée d'un paradis terrestre, d'un jardin d'Eden. Jean-Paul Demoule souligne également l'existence d'une compétition académique, surtout dans le système anglo-saxon.
Selon Jean-Paul Demoule, un autre schéma de pensée nécessite d'être déconstruit, celui de "la longue file indienne qui commence avec le singe accroupi et qui finit avec l'homme blanc barbu debout avec une lance à la main. Cela a été au contraire un buissonnement permanent d'espèces. Il y a encore 100 000 ans, plusieurs espèces humaines concurrentes et synchrones existaient en même temps. La seule exception de l'histoire humaine, c'est notre espèce : depuis un millénaire, nous sommes seuls."
En revanche, il y a bien un consensus scientifique sur le fait que les premiers hommes sont Africains, comme l'explique le paléoanthropologue Antoine Balzeau. "Toumaï est le fossile humain le plus ancien connu aujourd'hui. Il s'agit d'un fossile humain dans le sens où Toumaï était un primate qui se tenait debout, son corps s'étant transformé pour une locomotion bipède. Il est originaire d'Afrique centrale et a sept millions d'années à peu près". (…) Tous les humains anciens, connus pour le moment, sont Africains. Il n'existe aucun humain en dehors du continent africain avant deux millions d'années".
Une sortie sans retour de l'Afrique vers l'Asie ?
A rebours de l'idée répandue selon laquelle il y a 100 000 ans, les Homos sapiens auraient quitté le Sud pour rejoindre directement l'Est, Antoine Balzeau nuance, détaillant deux événements successifs : "La première sortie du continent africain n'a pas été un mouvement sans retour possible avec cette expansion pour devenir une humanité différente en Asie, en Europe, de ce qui s'est passé en Afrique. Il y a eu une continuité, des mouvements encore possibles, des échanges,…. Ce fut une histoire complexe avec un buissonnement que l'on observe entre les espèces. La seconde sortie de l'Afrique correspond au moment de l'apparition de l'Homo sapiens".
Les enseignements de la paléogéographie
La paléogéographie vise à reconstruire la géographie de la Terre à travers les ères géologiques, jusqu'à plusieurs milliards d'années en arrière. Une discipline scientifique qui nous apprend à relativiser, en nous enseignant qu'il y a eu de multiples espèces différentes au cours du temps et que ces dernières ont connu un environnement très différent du nôtre. La paléogéographie nous éclaire aussi sur les échelles.
Antoine Balzeau l'illustre à travers le cas des changements climatiques, plus que jamais d'actualité aujourd'hui : "Ce qu'il faut retenir de la préhistoire, c'est que ces changements climatiques existent depuis 2,5 millions d'années. Ils mettent des milliers d'années à se mettre en place, à effectuer un changement complet : de l'ordre de 30 ou 40 000 ans. Cela ne représente, à l'échelle de la planète, que des variations climatiques d'en moyenne cinq degrés. Dans les documentaires scientifiques, les hommes de Néandertal sont souvent représentés en pleine glace. C'est une image caricaturale, trop simpliste. La réalité des changements climatiques, c'est qu'entre une période très froide et une période très chaude pour toute la planète, il n'y a que cinq degrés en moyenne de différence, avec des variations qui peuvent être énormes en fonction des régions".
Pour aller plus loin
Bibliographie
- Homo Migrans. De la sortie d'Afrique au Grand Confinement, Jean-Paul Demoule, Payot, 2022
- La préhistoire en 100 questions, Jean-Paul Demoule, Tallandier, 2021
- Brève histoire des origines de l'humanité, Antoine Balzeau, Tallandier, 2022
Extraits sonores et musicaux
- Archives de l'émission Carbone 14, Écrire l'histoire en Afrique, avec François-Xavier Fauvelle, historien et archéologue français spécialiste de l’Afrique - France Culture (23/12/18)
- Extrait du documentaire À la rencontre de Néandertal - Arte (2019)
- Chanson : Bardjal d'Abdoulaye Nderguet (2022)