A l’OMS, au G7 ou à l’OMC, la pression des pays du Sud pour un assouplissement des droits de la propriété intellectuelle sur les vaccins est plus forte ces dernières semaines. En cause : les inégalités persistantes dans l’accès aux vaccins.
L'Afrique du Sud, le Mexique, l'Ouganda et le Brésil ont tous payé des prix différents et tous ont payé plus cher que l’UE, et 70 % des doses sont à destination des 50 pays les plus riches, 0,1 % vers les 50 les plus pauvres dit la Croix Rouge. La directrice d’Onusida craint « une sélection naturelle dans laquelle seul le plus fort survit ».
Un dispositif de soutien insuffisant pour les pays à faibles revenus ?
En finançant pour 7,5 milliards de dollars le dispositif « Covax » sous le chapeau de l’OMS, les pays riches et fabricants tentent de garantir deux milliards de doses à 190 pays à revenus faibles ou moyens. Les premières viennent tout juste d’arriver en Colombie et en Afrique : au Nigeria et Ghana la semaine dernière, et dans quatre pays cette semaine ; mais ces quelques millions de doses, même si l’on y ajoute les livraisons prévues dans le cadre d’accords bilatéraux restent insuffisantes pour les 6,5 millions de soignants du continent et des pays de dizaines de millions d’habitants, 200 millions pour le seul Nigeria.
Dans le Financial Times la semaine dernière, Emmanuel Macron a proposé de compléter le dispositif en ajoutant 3 % à 5 % des doses nationales ; mais Covax ne permettra de faire « qu’un bout du chemin » dit un diplomate Sud Africain au Monde ; pour un autre moins diplomate « les pays riches financent Covax mais, dans le même temps, ils sécurisent leurs approvisionnements directement auprès des laboratoires. C’est de la blague. »
Plus que des livraisons de vaccins : nationaliser les brevets ?
Faire des vaccins un « bien commun » par un vote à l’OMC, ou s’arroger des « Licences obligatoires » : ce sont les options réclamées par plus de 119 pays dont l’Union Africaine, des ONG, des scientifiques, politiques et intellectuels.
Depuis 1994, les accords de l’OMC permettent en principe des solutions à l’amiable, sorte de contrat de transfert de technologies entre laboratoires et pays. Le Costa Rica l’avait demandé il y un an, un "pool de licences volontaires" sur le modèle des traitements anti-Sida. Du Bangladesh ou Brésil, plusieurs pays « pharmergents » comme l’écrit l’économiste Philippe Frouté dans The Conversation, ont les capacités de production.
Cependant jusqu’ici, seule l’Inde a signé des accords bilatéraux avec Astrazeneca, Pfizer, Moderna ; et aucun laboratoire ne participe à un accord global, qui prendrait de toute façon 10 à 20 ans dit à l’AFP l’économiste Samira Guennif. Vendredi, le directeur général de l’OMS appelait à « renoncer à la propriété intellectuelle sur les brevets pour augmenter la production, la couverture du vaccin et se débarrasser de ce virus dès que possible ».
**Juste contribution ou réquisition inefficace ? **
Certains pays producteurs de génériques (comme le Canada, l'Inde, le Brésil) et économistes approuvent : il s'agit d'une « obligation morale » face à "l’extrême urgence", dit Sébastien Jean du CEPII, ou face à une « privatisation de l’effort financier et humain » avec plus de 8 milliards d'euros dépensés par l’UE et les Etats-Unis dans les laboratoires, renchérit Philippe Askénazy dans Le Monde. C’est le thème du retour sur argent public face aux « surprofits » Covid de l’industrie : 15 milliards de dollars pour Pfizer cette année.
D’autres sont plus réservés car réquisitionner les brevets – même avec une compensation financière, c’est exproprier les fabricants de vaccins et affaiblir le ressort principal de l’industrie pharmaceutique : un monopole garanti sur 20 ans pour rendre viable une industrie aux coûts de R&D élevés mais de production faible. Les pays riches s’y opposent et pour Izabela Jelovac du CNRS, les brevets permettent de «s’assurer que ce ne sera pas plus intéressant pour les laboratoires de faire de la recherche contre la chute des cheveux que pour le Covid».
Nationaliser la propriété intellectuelle : une histoire ancienne
La question s’est posée dans les années 2000 avec l’épidémie de Sida et l’imposition de Licences Obligatoires par le Brésil et la Thaïlande, qui réclamaient des baisses de prix des traitements. S’ils ont pu produire à bas coût et réduire l’épidémie dit Samira Guennif, la stratégie n’est pas sans risque pour la chaîne vaccinale : la Thaïlande s’était exposée au retrait de 7 médicaments par le laboratoire Abbott, dont un antirétroviral.
La tension entre l’Etat-nation et la pharmacie moderne est récurrente, rappelle dans Le Monde Philippe Askénazy, prenant pour exemple ce décret de 1810 de Napoléon, la « Loi sur les remèdes secrets » qui permettait à l’Etat de racheter des droits à une époque où se mettait en place le système des brevets.
Pour le Journal de Montréal, Emmanuel Macron lui-même reste évasif, appelant régulièrement à faire des vaccins un « bien mondial » ou un « bien commun », tout en ne se disant pas favorable à des « contraintes » sur les brevets. Il a bien menacé les entreprises d’un « retour du débat » sur le « surprofit » et sur la « propriété intellectuelle », mais pour l’instant, peu sont prêts à trancher le nerf de la guerre sanitaire.
XM