22 juillet 2022. Une voiture piégée explose dans le camp de Kati, cœur du pouvoir politico-militaire malien, à 5 kilomètres seulement de la capitale Bamako. Au-delà du bilan humain -18 morts- l’attaque matérialise l’extrême fragilité du régime et la puissance grandissante des groupes terroristes dont la Katiba Macina, qui revendique l’attentat, fait partie. Moins d’un mois plus tard, le 15 août, les derniers soldats français de l’opération Barkhane quittent le sol malien pour se replier sur la base de Niamey, au Niger, dans un contexte d’intenses crispations diplomatiques entre l’Elysée et les putschistes récemment arrivés au pouvoir à Bamako.
Entre intensification des attaques de groupes armés, coups d’Etat à répétition au Mali mais aussi au Burkina et déliquescence des administrations centrales, le contexte sécuritaire sahélien, déjà délétère depuis bien longtemps, se dégrade à une vitesse inquiétante. Une période de troubles qui profite aux miliciens du groupe russe Wagner, devenus les bras armés du gouvernement malien.
De quels moyens humains, financiers et techniques les armées nationales de la région disposent-elles pour lutter contre les groupes terroristes ? Comment les impensés et les présupposés de la lutte antiterroriste ont-ils fini par nourrir la cause djihadiste qu’elle pensait anéantir ? Et enfin, comment l’insécurité grandissante au Sahel concourt-elle à déstabiliser des Etats en voie d’effondrement ?
Pour répondre à ces questions, Mélanie Chalandon reçoit Rémi Carayol, journaliste indépendant pour Le Monde Diplomatique, Mediapart et Afrique XXI ainsi que Alain Antil, directeur du centre sur l’Afrique subsaharienne de l’IFRI.
"Il n'y a pas d'accélération soudaine de l'emprise des groupes terroristes sur le Sahel en 2022. Leur avancée se fait assez lentement, assez sûrement. Ils descendent vers le sud du Mali depuis plusieurs années, et maintenant ils progressent en direction du Burkina. Les récentes attaques sont spectaculaires et d'une grande envergure. Le nombre de morts parmi les civils est inédit à chaque fois. C'est ce qui a été le plus flagrant cette année", explique Rémi Carayol.
A propos du potentiel lien entre le départ du Barkhane et l'intensification des attaques djihadistes, Alain Antil explique que "le bilan du départ de Barkhane est contrasté au Sahel. Au Burkina ça ne change rien car les autorités burkinabées ont fait très peu appel à Barkhane. C'est dans la zone frontalière Niger/Mali que le départ des forces militaires françaises s'est le plus ressenti. Il n'y plus rien qui y empêche l'EIGS de rassembler une centaine de combattants avant une attaque. Une partie de Barkhane s'est redéployée au Niger qui est maintenant plus à même de lutter contre l'EIGS. Il y a donc un reflux de l'EIGS côté malien d'où l'épicentre des combats dans cette zone en 2022".
Pour aller plus loin :
- Rémi Carayol est l'auteur de l’ouvrage Le mirage sahélien paru aux éditions de La Découverte en décembre 2022.
Seconde partie : le focus du jour
Les Peuls, boucs émissaires de la lutte antiterroriste
En 2022, les populations peules ont été les victimes de plusieurs exactions de la part des armées maliennes et burkinabées. A Moura au Mali en mars, l’armée aurait exécuté 300 civils peuls selon l’ONG Human Rights Watch. La cause : un stéréotype répandu dans les pays du Sahel selon lequel tous les Peuls seraient des djihadistes. Pourquoi ce stéréotype existe-t-il ? En quoi le contexte actuel au Sahel, de changement climatique d’une part et de crise sécuritaire de l’autre, remet-il à l’ordre du jour le problème de stigmatisation des Peuls ?
Avec Charline Rangé, géographe et chercheuse associée au laboratoire PRODIG.
"Les exactions contre les Peuls par les armées nationales au Sahel ces derniers mois ont alimenté indéniablement le processus d'enrôlement des Peuls dans les forces djihadistes. C'est avant tout lié à un besoin de vengeance et à un besoin de protection", note Charline Rangé.
Références sonores & musicales
- Mali : attaque terroriste à Kati (Medi1TV Afrique - 22/07/22)
- Burkina Faso : retour sur l'attaque du convoi de Gaskindé (France 24 - 06/10/22)
- Burkina Faso : le sentiment anti-français se renforce (France 24 - 22/10/22)
- Burkina Faso : Paul-Henri Sandaogo Damiba renversé par un coup d'Etat (africanews - 01/10/22)
- Putsch au Burkina : le nouvel homme fort du pays est le capitaine Ibrahim Traoré (Le Parisien - 01/10/22)
- L'armée française quitte le Mali après neuf ans de présence militaire (C dans l'air - 17/08/22)
- Burkina Faso : manifestation contre la coopération militaire avec la France (africanews - 28/03/22)
- Mai : Human Rights Watch évoque un "massacre" de civils à Moura (France 24 - 06/04/22)
- « Pa Gnassi » de Joey Le Soldat, un rappeur burkinabé très populaire au Burkina Faso
- « Nothing is real » de Boards of Canada
Une émission préparée par Barthélémy Gaillard et Julie Ducos.