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Une société par ses prénoms : "Les Kenza seront-elles demain les Mauricette d'aujourd'hui ?"

Marie Sorbier
Diffusé le mardi, 01 février 2022 (10 min)


Peut-on appréhender une société en analysant les prénoms qu'elle donne à ses enfants ? Un point sur la sociologie des prénoms avec Baptiste Coulmont, professeur à l'école normale supérieure Paris-Saclay.


Baptiste Coulmont Professeur de sociologie à l’Ecole Normale Supérieure Paris Saclay



   
Provient de l'émission
Le Point culture

Au programme
  • Depuis deux siècles, le prénom inscrit à l’Etat Civil semble être de plus en plus perçu comme une forme d’expression d’un "moi" profond qui se veut singulier, cependant, le choix d’un prénom est tout autant le produit d’un phénomène de mode qu’un marqueur de classe.

    Les Kenza remplaceront-elles un jour les Mauricette de nos maisons de retraite ? Que dit l’évolution des vagues de popularité des prénoms de nos enfants sur les changements de notre société et des individus qui la constituent ? C’est ce que cherche à expliquer Baptiste Coulmont, professeur de sociologie à l'Ecole Normale Supérieure Paris-Saclay, au micro de Marie Sorbier.

    « Dans l’espace européen, ou au sein des espaces colonisés par l’Europe, les prénoms diffèrent suivant le milieu social, et dans le temps. Ce qui permet de voir des évolutions, notamment du taux de transmission des prénoms. Pour donner un exemple : plus la famille est devenue une famille nucléaire, une petite famille, moins les prénoms ont été transmis. » Baptiste Coulmont

    Les parents choisissent un prénom qu’ils aiment

    Ce progressif abandon de la tradition d’hériter symboliquement du prénom d’un membre de sa famille n’est pas pour autant synonyme d’un reniement de son entourage proche. On observe surtout un déplacement de cet héritage dans le deuxième prénom afin de laisser place à l’expression d’un goût plus singulier lors du choix du premier prénom.

    « On veut marquer du lien familial par le deuxième prénom, mais de manière quasiment invisible, et seuls les très proches le connaissent. Sinon, en première position, le prénom est uniquement un joli prénom, les parents en choisissent un qu'ils aiment. Mais on sait depuis très longtemps que le goût dépend de vos ressources, de votre revenu, de la profession des parents, de l'endroit où vous êtes dans la société. » Baptiste Coulmont

    Toutefois, malgré une profonde volonté d’exprimer un goût personnel dans la « société singulariste » (Danilo Martuccelli) où nous vivons, le choix des prénoms n’est jamais complètement imperméable aux modes successives qui varient selon le temps et les classes.

    « Les modes sont toujours des modes de classes, cela peut être des classes d'âge, cela peut être des classes sociales, ou même des manières de manifester des apparences religieuses. Mais seules les sociétés fortement différenciées ont des modes. » Baptiste Coulmont

    Comme toute mode digne de ce nom, celle des prénoms n’échappe pas à la règle de l’éternel recommencement. Baptiste Coulmont nous apprend que c’est souvent lorsqu’une génération de x-prénom entière disparaît qu’elle revient progressivement à la mode. Ainsi, nous avons pu voir dernièrement un prénom tel qu’Emile refleurir les cahiers des petits écoliers de France. Paradoxalement, ce phénomène s’explique en partie par la volonté qu’ont les parents de donner des prénoms rares à leurs enfants, quitte à parfois les inventer ou les déterrer.

    Choisir des prénoms rares

    « Aujourd'hui, les parents vont donner des prénoms globalement rares. Le prénom le plus populaire, Louise ou Gabriel, est donné à environ 1% des enfants, ce qui fait que 99% à 98% des petites filles ne se sont pas appelées Louise, alors même que Louise était le prénom le plus donné. » Baptiste Coulmont

    Alors, existe-t-il des prénoms soi-disant intemporels - à l’instar de Marie, Paul ou Pierre – qui résisteraient à la valse des modes ? Baptiste Coulmont nous apprend que non, et ce principalement à cause d’une inexorable démultiplication des prénoms, qu’ils soient anciens, communs ou rares.

    « Aujourd'hui, même le prénom Marie est en chute continue et va passer en dessous du 100ème prénom le plus donné aux enfants. Il y a de moins en moins de filles qui s'appellent Marie. Mais il y a de moins en moins de filles qui partagent un même prénom parce que de toute façon, on choisit désormais des prénoms relativement rares pour ses enfants. » Baptiste Coulmont

    Retrouvez l’essai Sociologie des prénoms de Baptiste Coulmont dans la collection Repères aux éditions La Découverte.

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  • Christophe Abramowitz
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