Énoncé par Galilée, le principe dit "d’inertie", indique qu’en l’absence d’influence extérieure, tout corps perdure dans un mouvement rectiligne et uniforme, c’est-à-dire se déplace en ligne droite avec une vitesse constante. C’est ce qu’on appelle un mouvement "inertiel". Cette loi n’est-elle pas contraire à notre expérience du mouvement ? Si nous cessons de pédaler, notre bicyclette ne finit-elle pas par s’immobiliser ? En vérité, personne n’a jamais observé directement le mouvement d’un corps qui ne soit soumis à aucune force. C’est seulement dans les cas où les forces exercées sur un corps se compensent exactement – autrement dit que leur résultante est nulle - que son mouvement apparaît rectiligne et uniforme, à l’instar de celui d’un train circulant en ligne droite et à vitesse constante. Quand cette résultante n’est pas nulle, le mouvement est accéléré, ralenti, et/ou curviligne.
Le principe dit "d’inertie"
Un mouvement inertiel "pur" peut donc nous sembler antinaturel, "impossible", au sens d’"irréalisable". Selon le philosophe, Alexandre Koyré, c’est ce par quoi la physique des Galilée et Newton a constitué une authentique rupture : Le concept galiléen du mouvement nous paraît tellement naturel que nous croyons même que la loi d’inertie dérive de l’expérience et de l’observation, bien que, de toute évidence, personne n’a jamais pu observer un mouvement d’inertie "[…] Nous ne sommes plus conscients du caractère paradoxal de la décision de Galilée d’expliquer le réel par l’impossible". (1)
"Expliquer le réel par l’impossible", qu’est-ce à dire ?
Que les lois physiques semblent au premier abord contredire les observations, et qu’il s’agit ensuite de réinterpréter ces dernières pour comprendre comment des lois qui les contredisent les expliquent tout de même…
Le principe d’inertie, l’un des principes fondamentaux de la mécanique de Newton
Il finira par poser un problème conceptuel, provenant du fait qu’il existe une force qui est partout présente dans l’univers, une force à longue portée qu’aucun mur ni aucun dispositif ne peut entraver, amoindrir ni arrêter : cette force impossible à éliminer, c’est la gravitation. En d’autres termes, tout corps massif, où qu’il soit dans l’univers, subit au moins l’action de cette force. Dès lors, il n’existe aucun lieu où le principe d’inertie s’incarne à l’état pur.
Il y a autre chose. Selon Newton, la gravitation est une force qui s’exerce de façon instantanée entre les corps massifs. Elle correspond donc à une "action à distance", sans qu’on sache dire par quel mécanisme elle se déploie au travers de l’espace. Newton lui-même en était embarrassé. Dans une lettre adressée en 1692, à Richard Bentley, il écrit : "La gravitation doit être causée par un agent agissant constamment d’après certaines lois, mais je laisse mes lecteurs réfléchir à la question de savoir si cet agent est matériel ou immatériel (2)". Et il conclut par cette formule devenue célèbre : Hypotheses non fingo ("Je ne feins pas d’hypothèses" : en clair, je ne souhaite pas ajouter d’autres hypothèses à celles que j’ai déjà faites).
Cette question ne fut éclaircie que bien plus tard. En 1907, Einstein en vint à se demander comment inclure la gravitation au sein de sa théorie de la relativité qu’il avait développée deux ans plus tôt. Ce projet était à la fois nécessaire et délicat, pour une raison facile à comprendre. Selon Newton, changer la distribution de matière dans une région donnée de l’espace modifierait instantanément et dans tout l’univers le champ de gravitation, comme si l’information s’était propagée à une vitesse infinie à travers l’espace. Or, cette hypothèse contredit le fait que la vitesse de la lumière est une vitesse limite. Cette contradiction ne cessa de tourmenter Einstein, qui parvient à la dissoudre en formalisant quelques années plus tard une nouvelle théorie de la gravitation, complétement révolutionnaire : la relativité générale.
Celle-ci indique que la gravitation n’est pas une force, mais une déformation de la géométrie de l’espace-temps. Un corps qui subit la gravitation ne subit aucune force, puisque la gravitation n’en est pas une. Son mouvement est donc un mouvement inertiel, mais à la différence de la conception classique, ce mouvement inertiel se déploie non en ligne droite, mais dans une géométrie courbée par les masses et les énergies qu’elle contient. Et dans cet univers-là, la vitesse de la lumière demeure une vitesse-limite pour la transmission des informations.
(1) Alexandre Koyré, Etudes d’histoire de la pensée scientifique, Paris, PUF, 1966, p. 166.
(2) Cité in Alexandre Koyré, Du monde clos à l'univers infini. Paris : Gallimard, « Tel », 2003, p. 166.
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