Le 13 novembre 2022, une bombe explose sur l’avenue très fréquentée d’Istiklal à Istanbul. Six personnes sont tuées et 81 autres sont blessées. L’enquête des autorités désigne rapidement les responsables : il s’agit d’après Recep Tayyip Erdogan du parti des travailleurs kurdes, le PKK, déjà placé sur la liste des organisations terroristes. Il est le plus grand ennemi de l’intérieur de la Turquie de l’Etat turc depuis les affrontements sanglants des années 80 et 90 et la résurgence de la violence depuis 2015.
Pour accuser les partis prokurdes, il n’y a qu’un pas à faire, que les autorités judiciaires turques franchissent en sommant le HDP, le Parti démocratique des peuples, légal et autorisé, de se justifier. Les subventions du HDP, aujourd'hui la troisième force politique du pays, viennent tout juste d’être coupées, à six mois à peine des élections législatives et présidentielles.
Comment le sort du HDP dans les prochaines semaines peut-il changer la donne des élections ? Quelle place occupe la question kurde dans la stratégie politique d’Erdogan ? Historiquement, comment l’Etat turc a-t-il composé avec la minorité kurde ?
Pour répondre à ces questions, Julie Gacon reçoit Ahmet Insel, professeur retraité à l’université Galatasaray d’Istanbul et éditeur ainsi que Jean-François Pérouse, géographe, enseignant chercheur et ancien directeur de l’Institut français d’études anatoliennes.
"Depuis 1990, 7 Partis kurdes qui se sont successivement créés ont été interdits par le Conseil constitutionnel. Ce n'est donc pas la première fois qu'un Parti pro-kurde est interdit. Il ne faut pas négliger cette ségrégation que subissent les Partis pro-kurdes en Turquie historiquement mais aussi aujourd'hui", explique Ahmet Insel.
"Dès le lendemain du coup d'Etat manqué de juillet 2016, il y a une rupture qui fait basculer le pays dans un régime d'exception. A partir de la fin juillet, plus de 100 municipalités kurdes de Turquie sont démantelées et les administrateurs sont remplacés par des représentants du pouvoir central ", observe Jean-François Pérouse .
Pour aller plus loin :
Seconde partie : le focus du jour
A Diyarbakir, la guerre patrimoniale entre Kurdes et AKP
Si l’AKP a longtemps collaboré avec les élus locaux kurdes dans la préservation du patrimoine culturel de la minorité, depuis 2015 et la résurgence des affrontements armés avec le PKK, le parti au pouvoir cherche désormais à invisibiliser ces œuvres et monuments. Illustration avec la ville de Diyarbakir, considérée comme la capitale du Kurdistan turc.
Avec Julien Boucly, docteur en études politiques à l’EHESS et chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes.
"Le musée de Diyarbakir s'organise autour du tombeau d'une figure islamique qui a conquis la ville au VIIème siècle. L'approche de la diversité culturelle dans ces musées gérés par l'Etat est focalisée sur l'aspect confessionnel alors que les musées gérés par des Kurdes ou prokurdes cherchent à témoigner d'une histoire multiculturelle, multiethnique et multilinguiste de la ville", note Julien Boucly.
Une émission préparée par Bertille Bourdon, Barthélémy Gaillard et Julie Ducos.
Références sonores & musicales
- Réaction du président Erdogan le 13 novembre après l’attentat sur Istiqlal (Journal de France Culture - 14/11/22)
- Attentats d'Istanbul : les Kurdes du PKK pointés du doigt (TV5MondeInfo - 14/11/22)
- Ebru Grünay, porte-parole du HDP, dénonce l’acharnement judiciaire dont fait l’objet son parti (MedyaNews Web TV - 05/01/23)
- Turquie : marginalisation des turques kurdes (France 24 - 22/12/09)
- Sud-Est de la Turquie : les architectes en appellent à l'UNESCO (AFP TV - 2016)
- "Sunshine recorder" de Boards of Canada
- "Yaranmaz Aşık" de Aynur Doğan (2010)