Si le Niger a longtemps été considéré comme le modèle régional de la lutte anti-terroriste, il semble que l’instabilité politique des dernières semaines ait ouvert une brèche : plusieurs attaques ont été reportées, et on déplore de nombreuses victimes civiles et militaires dans la zone sous tension dite des "trois Frontières" (Niger, Burkina Faso, Mali).
Le 27 juillet, le général Tiani avait justement justifié son coup d'État par la nécessité de rétablir la sécurité nationale nigérienne, en développant notamment la lutte anti-terroriste. Une rhétorique commune à l'ensemble des putschistes sahéliens : affirmant vouloir récupérer leur souveraineté en matière de sécurité, le Mali et le Burkina Faso avaient déjà en 2022 demandé à l’armée française de quitter leur territoire. Ces régimes militaires développent alors plusieurs stratégies pour lutter contre les djihadistes : le Mali s’est tourné vers la célèbre milice russe, Wagner, tandis que le Burkina Faso a choisi de former des civils au maniement des armes, avec les VDP - Volontaires pour la défense de la patrie. Des forces qui n’auraient néanmoins pas réussi à faire reculer les groupes djihadistes.
Après le départ des forces françaises, quels sont les résultats des stratégies mises en place par les juntes à Bamako ou à Ouagadougou ? En face, comment les groupes terroristes profitent-ils de l’instabilité politique pour se déployer ? Enfin, après le coup d'État en juillet dernier, que sait-on des pistes de la junte nigérienne pour lutter contre les djihadistes ?
Julie Gacon reçoit Seidik Abba, chercheur associé et président du Centre international d’études et de réflexions sur le Sahel, ainsi que Luis Martinez, politiste et directeur de recherche au Centre de recherches internationales de Sciences Po.
Pour Luis Martinez, la prise de pouvoir des putschistes désorganise la lutte anti-terroriste : "Ils perdent l'appui des populations et des communautés comme les touaregs. La fragmentation du pouvoir politique fait donc que la remontée des informations locale est beaucoup plus difficile. Dans le même temps, les militaires se retrouvent sans les informations stratégiques que pouvaient détenir les États-Unis ou la France. Tout cela renforce bien évidemment la capacité des groupes djihadistes à attaquer.
Dans le même sens, le politiste ajoute : "Ces groupes terroristes ont d'ailleurs fait savoir que tout village qui accepterait des armes de l'armée apparaîtra dès lors comme un ennemi. La solution du "peuple en armes" pour défendre la patrie, choisie par exemple au Burkina, risque donc de provoquer une surenchère de violence."
Mais Seidik Abba rappelle que pour saisir ces enjeux, il faut aller au-delà de la dimension sécuritaire : "La question du Sahel n'est pas qu'un problème militaire. Il y a également celui de la gouvernance et de la cohésion sociale, avec des groupes communautaires qui ont été opposés les uns aux autres. Pendant qu'on élimine 3000 terroristes, les djihadistes vont en recruter 15 000, parce que le terreau est favorable."
Focus : le golfe de Guinée face à la menace djihadiste
Avec Niagalé Bagayoko, docteure en science politique et présidente de l’African Security Secteur Network (ASSN)
En novembre 2022, dans le cadre de "l'initiative d'Accra", sept pays d’Afrique de l’Ouest se réunissaient pour accroître leur coopération face à la menace djihadiste. Mais alors que l’instabilité politique au Niger menace de laisser le champ libre aux terroristes, la crainte d’une expansion vers le golfe de Guinée se renforce encore un peu plus. Comment les pays de la région se préparent-ils à affronter cette menace ?
Pour Niagalé Bagayoko : "Les initiatives comme celle d'Accra ont pour caractéristique de ne pas uniquement se focaliser sur le volet militaire de la lutte contre la menace terroriste : elles privilégient aussi le renseignement et l'échange d'informations entre les pays membres. On assiste également à une coopération de nature policière, et à la conduite d'exercices militaires conjoints. Mais ce qui est très important de mentionner, c'est que ces projets s'ajoutent à la sorte d'embouteillage sécuritaire que l'on constate dans la sous-région depuis les années 90. Face à cette prolifération d'instruments de gestion de conflits, les États n'ont pas les moyens de mobiliser des ressources adéquates."
Références sonores et musicales
Musique : Omar Pène - Terroriste. Extrait de l'album Climat (Super Diamono - 2021)