Du désert de l’Atacama chilien aux plaines du Katanga en République démocratique du Congo, ces régions reculées géographiquement comptent parmi les territoires les plus stratégiques de la planète. Gorgés de lithium et de cobalt, leurs sols labourés par les excavatrices et parsemés de concessions minières sont devenus l’arrière-boutique de la grande course à la transition énergétique. Qu’il s’agisse de lithium, de cobalt ou de béryllium, ces minerais dits critiques, rares ou stratégiques selon les appellations, sont essentiels à la fabrication des batteries et des moteurs électriques. Ces ressources sont donc l'objet de toutes les convoitises, recherchées par les grandes puissances mondiales soucieuses de préserver leur souveraineté industrielle, mais aussi par les géants des secteurs minier et automobile. Par ailleurs, si la Chine tient un rythme effréné dans l'accaparement des ressources et dans la maîtrise des processus de raffinage, l’Europe et les États-Unis tentent de combler leur retard. De leur côté, les pays assis sur les réserves mondiales cherchent à capitaliser sur leurs gisements pour développer leur propre industrie.
Comment des pays riches en minerais critiques comme l’Indonésie, le Chili ou la Namibie légifèrent-ils pour éviter le pillage de leurs ressources et constituer leur propre tissu industriel ? Comment la Chine exploite-t-elle sa position dominante en la matière pour faire valoir ses intérêts ? Et enfin, dans quelle mesure la ruée vers les minerais critiques risque-t-elle de provoquer d’autres chocs géopolitiques, industriels, mais aussi sociaux et environnementaux ?
Guillaume Pitron explique que ces minerais critiques attisent les convoitises des États, mais aussi des grands groupes du secteur de l'automobile : "Jusqu'à tout récemment, ces constructeurs automobiles ne s'étaient pas intéressés à la question des minerais. Le monde du toyotisme ne posait pas la question des stocks. Mais nous avons changé de paradigme : Elon Musk a compris, comme Ford avant lui, qu'il faut sécuriser la chaîne de valeur et avoir une connaissance précise de ses besoins. On voit ainsi des constructeurs automobiles investir directement dans des sociétés minières pour pouvoir par exemple sécuriser un besoin en lithium".
Raphaël Danino-Perraut précise les outils dont disposent les pays où se trouvent ces réserves de minerai : "À l'instar de ce que la Chine avait mis en œuvre en cessant ses exportations de terres rares vers le Japon en 2010, l'Indonésie, qui détient de grandes réserves de nickel, interdit désormais l'exportation de la matière première brute afin de développer le raffinage. L'objectif étant ensuite de monter progressivement en puissance sur l'ensemble de la chaîne de valeur, avec la production de véhicules électriques."
Le focus du jour : à qui profitera le lithium bolivien ?
- Avec Audrey Sérandour, géographe, chercheuse postdoctorante au CRESAT de l’Université Haute-Alsace.
Il faut se figurer ce que représente le fameux Salar d’Uyuni. Situé au sud-ouest de la Bolivie, à plus de 3 650 m d’altitude, cet ancien lac asséché depuis des milliers d’années est l’un des plus grands déserts de sel de la planète. 10 000 m² de terre blanche, formée de croûtes épaisses où rien ne pousse : c’est là que gisent les immenses réserves de lithium de la Bolivie, encore difficiles à quantifier, mais estimées à 23 millions de tonnes (soit 25 % des réserves mondiales). Or, malgré un projet d’exploitation lancé en 2008 par l’ancien Président Evo Morales, l’extraction du lithium bolivien reste balbutiante, bien loin des deux autres grands producteurs de la région, l'Argentine et le Chili. Bien décidé à rattraper son retard et à profiter de cette richesse dans un contexte d’explosion de la demande mondiale, le gouvernement multiplie les accords d'investissements. Mais à qui profitera vraiment le lithium bolivien ?
Comme l'explique Audrey Sérandour, "historiquement, les pays sud-américains et la Bolivie en particulier étaient des pays exportateurs de matières premières brutes qui ne bénéficiaient donc pas des rentes et de l'industrialisation. C'est pourquoi le gouvernement bolivien envisage toute la chaîne de valeur : transformation du lithium sur place, puis production de cathodes et de batteries, voir de véhicule électrique."
Références sonores
Musique : Les troubadours de Lubumbashi - "Nokia Samsung Huawei" (extrait du reportage d'Arte : "Cobalt, l'envers du rêve électrique", 2022)
Pour aller plus loin :