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Guerre en Ukraine : profusion des images, transformation de la preuve

Antoine Garapon
Diffusé le mercredi, 10 mai 2023 (59 min)


La guerre d’Ukraine est l’une des guerres les plus transparentes de l’histoire grâce, entre autres, au numérique et à la profusion d’images.


Christian Delage Historien et réalisateur français, professeur à l'université Paris VIII.
Cécile Boëx Politologue, Maîtresse de conférences de l’EHESS (Centre d’études en sciences sociales du religieux CéSor).



   
Provient de l'émission
Esprit de justice

Au programme
  • L’image multiplie les preuves – ou plus exactement de la matière à exploiter par la justice. Citons l’enquête exemplaire réalisée par le New York Times sur les crimes commis dans une rue de Boutcha. Cette enquête offre un niveau de preuve très élaboré, consacré d’ailleurs par le prix Pulitzer. Une telle profusion d'images va-t-elle modifier le travail de la justice ? L’histoire va nous le dire.

    Mais les images remplissent bien d’autres fonctions comme le montre la guerre de Syrie. Là, des activistes se sont organisés pour diffuser des images, mais aussi des fonctionnaires comme le fameux « César » qui a permis des poursuites, laborieuses, en Occident. En témoigne, le film Les âmes perdues de Stéphane Malterre et Garance Le Caisne.  Les images ont également une fonction mémorielle, consolatrice, de lutte contre l’oppression.

    Le traitement des images par la justice, le traitement des injustices par les images, tel sera le thème d*’Esprit de justice* avec Cécile Boëx, Maitresse de conférences de l’EHESS (du Centre d’études en sciences sociales du religieux CéSor), qui a dirigé avec Agnès Devictor, un ouvrage intitulé : Syrie, nouvelle ère des images. De la révolte au conflit transnational, (Editions du CNRS, 2021), et Christian Delage, Historien et réalisateur, professeur des universités à l'université Paris VIII, à l'Institut d'études politiques de Paris et à la Benjamin N. Cardozo School of Law. Depuis le 1ᵉʳ janvier 2014, il dirige l'Institut d'histoire du temps présent, et va publier (Mai 2023) Filmer, juger. De la Seconde Guerre mondiale à l’invasion de l’Ukraine (Gallimard, 2023).

    >> Le Réseau International des Chercheuses et chercheurs à l’Épreuve de la Violence Extrême (RICEVE) organise une journée d'étude autour de la question : Que faire des images de la violence extrême ? le jeudi 8 juin 2023 à la Fondation de la maison des sciences de l'Homme. Programme et inscriptions, ici.

    Cécile Boëx "Il y a un enjeu autour de la vidéo qui est très important dès les premières manifestations [en Syrie]. Tout le monde filme pour contourner l'embargo médiatique qui est imposé par le régime de Bachar el-Assad et sa propagande, en montrant l'ampleur du mouvement et de la répression. Parce que dès le départ, le régime nie la réalité de la révolution et va invoquer un complot étranger. Il va assimiler les manifestants à des terroristes islamistes, à des agents infiltrés ou encore à des bactéries."

    Christian Delage "En Ukraine, environ 2000 journalistes ont été accrédités. Il y a une très grande libéralité du gouvernement ukrainien pour faire venir les journalistes. [...] Mais pour ce qui concerne le Front, les conditions pour les accrédités sont très restrictives. C'est-à-dire qu'il ne va falloir rien montrer et nommer qui puisse aider l'ennemi à identifier quelque chose. "

    Cécile Boëx "Il y a vraiment cette conscience d'une sorte d'écriture de la vérité. Ils ne sont pas du tout dans l'optique d'une justice future, mais dans cette volonté d'arrêter les massacres. L'urgence, c'est de croire que l'image va pouvoir arrêter les massacres au moment où elle va être prise."

    Christian Delage "On dispose d'outils aériens, c'est-à-dire de drones : il y a le satellite SAR, un satellite américain qui couvre le monde entier. Mais il y en a plusieurs, ce qui permet de fournir très régulièrement des images aux agences de presse. Ensuite, vous pouvez zoomer, donc même si l'image est prise de très haut, vous pouvez voir des détails. Et enfin, vous avez les caméras de surveillance, et les citoyens, qui sont les premiers à filmer. [...] Donc ce mélange, permet de ne pas être dépendant d'une seule image, et de tisser un récit."

    Cécile Boëx "Laisser quelque chose, mais aussi je pense ne pas sombrer dans la folie. C'est-à-dire tenir une caméra : j'ai vu des vidéos de dix minutes sans commentaire, juste une déambulation dans les décombres. Et le fait d'avoir une caméra permet aussi de se confronter au désastre et au cauchemar."

    Christian Delage "Il y a d'abord l'exigence du droit, la promesse de la justice, et ensuite le travail de documentation. L'Europe a un rôle à jouer puisqu'elle a créé une base de données qui doit coordonner toutes ces images, tous ces témoignages, tous ces documents. [...] On se prépare à ce que la masse documentaire soit absorbable justement par une cour de justice."

    Pour aller plus loin

    Extraits musicaux

    • Morceau choisi par Cécile Boëx : "Departure" par le groupe syrien Hewar - Album : "Best of Hewar" (2005).
    • Morceau choisi par Christian Delage : "Shenandoah" par Keith Jarrett - Album : "The Melody At Night, With You" (1999).
Illustration
Esprit de justice
Photographie
  • C. Abramowitz
Copyright
  • Radio France
Collection

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