Souvenez-vous, c’était il y a une semaine, mais quand on y pense, ça semble une éternité : lundi dernier, les commentaires allaient bon train sur Valérie Pécresse et son grand meeting, la veille, à Paris. Quelques minutes après sa prestation, elle s’auto-commentait elle-même, disant “C’était important que les Français sentent la sincérité qui est en moi”.
Marrant qu’elle ait dit ça, car son meeting a surtout été jugé sur son niveau de sincérité, ou plutôt d’insincérité… marrant qu’elle ait dit ça aussi, car c’est un des mots qui revient le plus chez d’autres candidats. Par exemple : chez Fabien Roussel.
Je ne sais pas pourquoi je dis “marrant” d’ailleurs, car :
-d’une, il n’y a rien de moins marrant, a priori, que la sincérité…
-et de deux, la sincérité est peut-être ce qui est le plus saugrenu dans une campagne pour être élu…
Car oui, personne n’est dupe, chacun d’entre nous qui va aller voter, sait bien qu’il y a une mise en scène lors de chaque élection, même la sincérité est un masque porté pour séduire. Et pourtant, pourtant, et c’est ça qui est intéressant : la sincérité semble rester un critère crucial pour juger de l’intégrité d’un programme… ou d’une personne.
Fruits sauvages
Durant mes quelques jours de maladie, de fièvre notamment durant lesquels j’ai beaucoup ressassé, j’avais cette idée de sincérité en tête, et plus j’y pensais, ben plus j’y pensais. Et c’est les yeux mi-clos que je suis tombée sur Montesquieu qui en a fait l’éloge :
« Un homme simple qui n’a que la vérité à dire est regardé comme le perturbateur du plaisir public. On le fuit, parce qu’il ne plaît point ; on fuit la vérité qu’il annonce, parce qu’elle est amère ; on fuit la sincérité dont il fait profession parce qu’elle ne porte que des fruits sauvages. »
J’étais assez étonnée de lire ça, parce que je pensais que, de tout temps, on avait adoré la sincérité. Donc, de deux choses l’une, soit les temps ont vraiment changé et je savais pas, soit on se trompe, aujourd’hui, sur la sincérité. On dit qu’on en veut, mais ça se trouve, on veut juste un semblant de sincérité.
Je penche pour cette 2ème option : on veut juste quelqu’un qui nous dise “je suis sincère” tel un label, qui va donner l’apparence de perturber le cours du débat public ou intime, “tu sais, je suis sincère, aime-moi, je suis pas comme les autres”...
La sincérité n’a donc pas seulement de paradoxal le fait d’être insincère (ce qui est déjà fou, car alors à quel saint se vouer) mais aussi le fait de, pourtant, malgré tout, fonctionner comme un gage de vérité. La sincérité fonctionne sans même être sincère.
Sincèrement, franchement et honnêtement
Plus quelqu’un dit “sincèrement”, mais ça marche aussi avec “franchement” ou “honnêtement”, plus ça devrait sonner comme un signal d’alarme, du type “vas-y, fuis”.... mais la question soulevée, c’est quand même : comment dire que l’on est vraiment sincère ?
Si on ne précise pas qu'on est sincère, qu’on est franc, qu’on est honnête, que nous reste-t-il pour attester de notre sincérité ?
Le problème est là : dans cette pauvre notion de sincérité qui nous reste en lambeaux, et dont on ne sait pas comment faire pour la revigorer.
Faut-il la laisser tomber ? Faut-il cesser de s’en revendiquer ? Faut-il, pour qu’elle redevienne plus qu’un mot, plus qu’une valeur, la laisser surgir sans qu’on la nomme ?
Ou alors : continuer à l’invoquer sachant que personne n’est dupe ? peut-être est-ce une bonne solution, car au fond chacun sachant qu’il y croit tout en ne faisant qu’y croire, la vérité n’est même plus en jeu.