Après le coup d’État mené par le général Tiani à Niamey, la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) lance un ultimatum : à compter du 30 juillet, les putschistes ont une semaine pour libérer le président Bazoum et quitter le pouvoir, faute de quoi plus rien ne s'opposerait à une intervention militaire.
Un ultimatum auquel la junte, mais aussi toutes les chancelleries voisines, ont réagi. Le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Bénin se sont rangés immédiatement aux côtés du Nigeria, géant régional et chef de file du camp interventionniste. De l'autre côté, les autres régimes putschistes du Mali et du Burkina-Faso, récemment suspendus de la CEDEAO, affirment qu'ils répliqueront en cas d'invasion du Niger. Dans ce climat de tensions exacerbées, les voisins non membres de la communauté comme le Tchad et l’Algérie défendent l’option diplomatique, par crainte d'un embrasement régional.
Autant d’acteurs et de positions divergentes avec lesquelles la CEDEAO, traditionnel gendarme régional depuis les années 90, tente de composer sans mettre le feu aux poudres. Mais si l’ultimatum a expiré sans qu’aucune intervention n’ait été déclenchée, faut-il s’attendre à une prochaine opération militaire au Niger de la part de la CEDEAO ? Comment cette communauté de 15 États membres, née sur un projet économique, s’est-elle peu à peu arrogée les prérogatives sécuritaires qu’elle menace de mobiliser ? Enfin, après les coups d’État en Guinée, au Mali et au Burkina Faso, le marasme nigérien signe-t-il l’affaiblissement, voire l’implosion de l’organisation sous-régionale ?
Julie Gacon reçoit Oumar Berté, avocat et chercheur associé au centre universitaire rouennais d’études juridiques, ainsi que Dominique Bangoura, docteur d'État en Science Politique et enseignant-chercheur.
Oumar Berté rappelle que la CEDEAO avait déjà été confrontée à des situations similaires : "Au Mali, lors des coups d'État de 2020 et 2021, la CEDEAO avait imposé de lourdes sanctions économiques, qui avaient poussé les militaires au pouvoir à rentrer en négociation. Mais dans le cas actuel du Niger, les choses ne se sont pas passées ainsi : les putschistes ont fermé tout de suite la porte à la négociation."
Cet échec des négociations aurait mené à l'ultimatum du 30 juillet. Ces menaces sont portées par la CEDEAO avec d'autant plus de virulence qu'elle disposerait de près de 50 000 soldats. Mais la réalité serait plus complexe, comme le détaille Dominique Bangoura : "Ces soldats sont des forces en attentes, similaires à celles de l'ONU. Il n'y a pas d'armée permanente, et la CEDEAO compte sur ses 15 États membres pour lui fournir des contingents. Mais ceux-ci sont généralement préparés à des missions de maintien de la paix, ce qui ne serait pas le cas avec la situation du Niger. On ne connaît donc pas encore les contours d'une telle force, ni son mandat au cas où elle devrait être déployée sur le terrain. Mais certains États ont déjà donné leurs accords, comme le Nigeria, le Sénégal, la Côte d'Ivoire et le Bénin."
Focus - Côte d’Ivoire : la CEDEAO au cœur de la rivalité entre Gbagbo et Ouattara
Avec Arthur Banga, maître de conférences en histoire à l’université Houphouët-Boigny d’Abidjan.
Alors que le 10 août dernier, le président ivoirien Alassane Ouattara avait annoncé qu’il mettrait près d'un millier d’hommes à disposition de la force conjointe de la CEDEAO pour renverser la junte de Niamey, son principal opposant Laurent Gbagbo a dénoncé la soumission de l’organisation sous-régionale aux intérêts occidentaux. Cette séquence illustre ainsi une ligne de fracture profonde dans l’histoire du pays, mais aussi dans la rivalité entre les deux vieux loups de la politique ivoirienne.
Arthur Banga revient ainsi sur la récurrence des ambitions interventionnistes du président ivoirien, et de ses liens avec la CEDEAO : "Alassane Ouattara a fait de l'intervention militaire sur la scène régionale un fondement de la politique de la Côte d'Ivoire. Juste après sa prise de pouvoir en 2011, il a assuré la présidence de la CEDEAO : dans ce cadre, il a dirigé l'intervention au Mali. La CEDEAO a donc joué un rôle important dans sa carrière [...] De même, bien que les textes de la CEDEAO interdisent en principe les changements institutionnels à l'approche d'élections, elle n'a pas condamné sa candidature pour un troisième mandat."
Références sonores & musicales
Abdel-Fatau Musah, Commissaire aux affaires politiques, à la paix et la sécurité de la CEDEAO, laisse planer la menace d’une intervention militaire au Niger (BBC News - 5 août 2023)
Le général Tiani, artisan du putsch qui a renversé Mohamed Bazoum, affirme être ouvert au dialogue et à la négociation avec ses voisins (Aljazeera - 20 août 2023)
Ali Hassane, citoyen nigérien qui a pris part à une manifestation contre la France et la CEDEAO (TV 5 monde info - 12 août 2023)
Le colonel malien Abdoulaye Maïga affirme que toute intervention de la CEDEAO au Niger sera considérée comme une déclaration de guerre (ORTM - 31 juillet 2023)
Laurent Gbagbo critique les menaces d’interventions de la CEDEAO (VOA Afrique - 22 août 2023)
Musique : "Niger" de Barakina (Muzukina Records - 2023)